Aux Etats-Unis, la pratique a été nommée "sleep divorce", le divorce du sommeil en français. Si le terme peut faire peur, les couples qui choisissent de l'appliquer ne sont pas pour autant au bord de la séparation. D'après une récente étude de la National Sleep Foundation, une organisation dédiée aux problèmes de santé liés au sommeil, 25% des couples américains choisissent de dormir séparés de leur partenaire.
S'il n'y a pas d'étude ou de chiffres officiels sur la thématique en Suisse, l'idée y fait aussi son chemin. Un couple de retraités romands a accepté de témoigner anonymement dans l'émission Mise au point. Il y a huit ans, ils ont décidé d'arrêter de partager leur lit. Chez eux, il n'y a pas de pièce commune pour dormir, mais bien deux chambres qu'ils ont chacun aménagées à leur goût.
Le concept séduirait de plus en plus de personnes, mais le dire publiquement reste encore rare. Si les deux conjoints interrogés ont accepté d'en parler sans être reconnus, tous les autres couples contactés par la RTS ont refusé d'apparaître devant une caméra.
J'ai retrouvé une qualité de sommeil et mon mari aussi. [...] Quand on a envie de passer un moment ensemble, on s'invite, il n'y a pas de problème
Pourtant, entre les deux aînés, tout va bien, voire mieux depuis qu'ils ne dorment plus ensemble. "On a commencé à faire chambre séparée lorsque j'ai eu une bronchite. Je toussais toute la nuit et elle ne pouvait plus dormir. On s'est alors aperçu que cette solution convenait aux deux", raconte l'époux. "J'ai retrouvé une qualité de sommeil et mon mari aussi. Comme il est grand, il bouge beaucoup dans le lit. Il avait donc à nouveau beaucoup d'espace pour dormir", ajoute sa femme.
Questionner les normes
Coline de Senarclens et son compagnon ont, eux aussi, fait le choix de dormir séparément. Leur bureau a ainsi été transformé en deuxième chambre. "Nous nous sommes rendu compte que nous avons des rythmes de sommeil très asynchrones. On se dérangeait et contraignait l'un et l'autre", explique cette coach spécialiste des genres et des sexualités chez Sexopraxis. Maintenant, "nous avons notre espace à nous, ce qui ne nous empêche pas de partager des moments d'intimité et de venir l'un chez l'autre".
Dormir de manière séparée, ça a une symbolique très forte. La preuve, il y a de la gêne autour de ça et un besoin de se justifier. Il y a une croyance qu'un couple uni dort forcément ensemble
"Dormir de manière séparée, ça a une symbolique très forte. La preuve, il y a de la gêne autour de ça et un besoin de se justifier. Il y a une croyance qu'un couple uni dort forcément ensemble", poursuit Coline de Senarclens, pour qui il est "sain d'être dans un cadre dans lequel on peut se questionner sur ce genre de dogmes".
Selon elle, cultiver un espace d'intimité peut par ailleurs mener à une sexualité plus libre et choisie. "Il y a aussi cette croyance que l'on fait l'amour avant de dormir. Je ne suis pas sûre que ça s'applique globalement dans la société. Et, de toute façon, on peut très bien le faire avant d'aller se coucher et dormir ensuite chacun dans sa chambre", souligne-t-elle. "Il est important de dire que la sexualité n'est pas qu'une affaire de couple, mais aussi une affaire individuelle. La sexualité de soi à soi est importante."
Une solution pour mieux dormir?
Sur le plan de la santé, faire chambre à part serait-il la solution pour mieux dormir? La question est actuellement étudiée au centre de médecine du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), où les ronflements se retrouvent souvent au coeur du travail des spécialistes. Dans les consultations, l'idée des chambres séparées est parfois abordée, même si l'on ressent, chez les professionnels aussi, que la question est taboue.
Nous nous sommes rendu compte que nous avons des rythmes de sommeil très asynchrones. On se dérangeait et contraignait l'un et l'autre
"Si une patiente souffrant d'insomnie me confie que son conjoint ronfle, je vais d'abord proposer de l'amener en consultation. S'il est réticent et qu'il ne veut rien changer, je peux alors exceptionnellement recommander à la patiente de faire chambre à part pour la période du traitement. Mais je ne vais pas directement conseiller cela, parce que je ne sais jamais comment la personne en face va réagir", explique Maria Cordier, neurologue et spécialiste du sommeil.
Des choix immobiliers spécifiques
Pour les couples qui en ont les moyens, la tendance des chambres séparées se retrouve dans les choix immobiliers. Alors que les demandes en ce sens n'existaient pas il y a quelques années, Luc Trottier, directeur associé du bureau Lutz Architectes, en reçoit aujourd'hui régulièrement, pour environ 5% des chantiers.
Ces volontés ne sont néanmoins pas toujours assumées: "Les gens demandent souvent deux-trois chambres et on part généralement sur un système classique, avec une belle grande chambre pour les parents. Mais on voit que ça coince parfois. [Certains clients] nous disent qu'ils n'ont pas besoin d'une chambre aussi grande, mais qu'ils aimeraient en revanche que la deuxième chambre soit plus proche. Au fur et à mesure, ils finissent par lâcher le morceau et dire que cela fait plusieurs années qu'ils ne dorment plus ensemble", raconte l'architecte. Ces choix engendrent parfois des projets architecturaux inédits, où la deuxième chambre est masquée des regards.
Pour les couples adeptes des chambres séparées, il semble aujourd'hui difficile de revenir en arrière. "Lorsqu'on cherche une location de vacances, on regarde même des fois s'il y a deux chambres pour que l'on puisse [dormir séparément], même en vacances", s'amuse l'époux retraité qui témoigne dans Mise au point.
Sujet TV: Céline Brichet
Adaptation web: iar