Christina sait que, depuis sa naissance, son comportement a été considéré comme atypique: "Bébé déjà, j'étais très anxieuse: gros stress de séparation, surtout avec ma mère, besoin de sécurité et très petite dormeuse. Impossible de me laisser dans une garderie ensuite."
Je me disais qu'il fallait absolument que je meure avant elle parce que sinon ce serait terrible
Sa scolarité primaire dans une petite école de village se passe bien. Mais dès son entrée dans des établissements plus vastes, elle n'arrive plus à y aller, on lui pose alors un premier diagnostic de phobie scolaire. Même sans aller à l'école, elle vit avec une anxiété très forte. "J'avais des idées noires, d'immenses angoisses concernant ma mère en me disant qu'elle allait mourir, qu'il fallait absolument que je meure avant elle parce que sinon ce serait terrible."
Jeune adulte, elle a des pensées intrusives, violentes et développe des rituels pour tenter de se rassurer: elle vit avec des TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs). Ne supportant plus sa souffrance qui ne fait qu'augmenter, elle est hospitalisée le jour de ses 25 ans. "On m'attribue un médecin psychiatre qui me voit à peu près deux fois cinq minutes les premiers jours et qui me colle une nouvelle étiquette de bipolarité", raconte-t-elle.
À l'âge de 25 ans, on a déjà diagnostiqué à Christina une phobie scolaire, un trouble anxio-dépressif, un TOC et un trouble bipolaire.
La complexité du diagnostic psychiatrique
Les troubles psychiatriques, par définition, sont liés au fonctionnement du cerveau, un organe humain d'une très grande complexité. Il contient plus de 80 milliards de neurones qui établissent en moyenne 7000 connexions avec leurs semblables. Face à cette complexité, un diagnostic en psychiatrie est beaucoup plus délicat qu'il peut l'être pour d'autres problèmes de santé.
Stephan Eliez, pédopsychiatre et professeur à l'Université de Genève, explique que "le diagnostic en psychiatrie se pose principalement sur le fait qu'on va avoir un certain nombre de symptômes qui surviennent ensemble. On peut en observer une partie, mais une grande partie est rapportée par la personne, contrairement à la plupart des domaines de la médecine".
Par ailleurs, la coexistence de plusieurs troubles - comorbidité - est très fréquente en psychiatrie. En fait, il est plus rare d'avoir un seul trouble que d'en avoir plusieurs. Tous ces facteurs expliquent la difficulté de poser un bon diagnostic en psychiatrie.
La quête de Christina: mettre un nom sur son trouble
En sortant de l'hôpital, Christina change de médecin généraliste. Après trois consultations, son nouveau médecin lui explique qu'il soupçonne qu'elle soit autiste Asperger (terminologie utilisée à l'époque, mais qui tend aujourd'hui à disparaître pour s'intégrer dans celle de Trouble du Spectre de l'Autisme ou TSA). Cette révélation captive Christina qui se passionne et se documente sur ce trouble.
Je m'identifie beaucoup aux personnalités et commence à coller aux critères de mon diagnostic, car ça m'arrange
"Je m'identifie beaucoup à des personnalités ou à des blogueurs sur YouTube qui parlent du syndrome d'Asperger. Je commence aussi, un peu, à me fondre dans ces personnages, à coller aux critères diagnostics, parce que ça m'arrange quelque part", confie-t-elle.
Les TSA, tout comme d'autres troubles tels que le trouble du déficit de l'attention (TDAH) ou les troubles dys, sont généralement considérés comme étant présents dès la naissance. Ce sont des troubles neurodéveloppementaux. Souvent, surtout s'ils ne sont pas détectés et suivis dès l'enfance, ces troubles sont reconnus comme étant des conditions primaires autour desquelles peuvent se développer des troubles secondaires tels que la dépression ou des addictions, par exemple. C'est sans doute aussi pour cela que Christina pensait que les TSA pouvaient expliquer son vécu. Mais sa santé mentale ne s'améliore pas.
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Lorsque le "bon" diagnostic tombe
Après la naissance de sa fille, Christina vit à nouveau une grande détresse psychologique. Sa psychiatre l'oriente vers l'unité des troubles de l'humeur des HUG pour réaliser un diagnostic "solide" de trouble bipolaire.
Ce type de diagnostic s'effectue avec des méthodes standardisées pour évaluer les symptômes. C'est une approche systématique et objective de l'évaluation des troubles mentaux.
À l'issue de ce processus, les cliniciens excluent le trouble bipolaire, mais suspectent un trouble du déficit d'attention avec hyperactivité (TDAH). Christina est très étonnée. "Je ne me sentais absolument pas concernée. J'avais cette image du garçon qui se roule par terre dans les magasins et qui ne tient pas en place à l'école. Donc beaucoup d'a priori". Pourtant, ce diagnostic sera confirmé quelques semaines plus tard.
J'ai découvert que c'est chouette d'être calme, de pouvoir s'asseoir tranquillement sans avoir des ruminations incessantes
Christina ne mâche pas ses mots: "Depuis ce diagnostic et depuis la mise en place des traitements, c'est un changement radical qui se voit à l'extérieur, plusieurs personnes me l'ont dit. Je suis beaucoup plus présente. Au départ, ça m'a fait une sensation de vertige parce que j'étais calme; ça m'a presque créé de l'angoisse! Et j'ai découvert que c'est chouette d'être calme, de pouvoir s'asseoir tranquillement sans avoir des ruminations incessantes."
L'importance du deuxième diagnostic
Stephan Eliez précise que pour les diagnostics psychiatriques complexes, "il est difficile d'avoir une certitude à 100%".
"Avoir deux cliniciens qui font l'observation ensemble ou dans des temps séparés permet d'augmenter la certitude du diagnostic. Des études l'ont montré. On peut se dire que c'est un grand déploiement d'énergie pour poser un diagnostic. Mais en même temps, ce sont des diagnostics qui engagent énormément d'énergie de la part du patient, souvent aussi des coûts importants et donc cette étape, il faut vraiment pouvoir prendre le temps de la faire", poursuit le pédopsychiatre.
*: nom fictif
Adrien Zerbini