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La sérialité, une notion juridique cruciale dans les affaires de viols

La sérialité dans les affaires de viol
La sérialité dans les affaires de viol / La Matinale / 4 min. / le 1 novembre 2024
La semaine dernière, le journal français Le Monde se faisait l'éco d'une ancienne plainte dans l'affaire Patrick Poivre d'Arvor, classée sans suite en 2005. Mais le récit de cette plaignante ressemble à beaucoup d'autres plaintes qui ont visé le présentateur et journaliste: la justice parle de sérialité.

La notion juridique de sérialité permet à la justice française d'enquêter sur des faits prescrits car ils sont liés à des faits qui ne le sont pas. Le dossier des victimes vient se renforcer grâce à cette connexion entre les affaires.

"Cela connecte les victimes entre elles. Elles vont mener le combat ensemble et comprendre que chacune d'elles écarte la prescription pour l'autre", juge vendredi dans La Matinale l'avocate Corinne Hermann, spécialiste des viols et des tueurs en série, qui représente sept victimes présumées de l'affaire PPDA.

Pour elle, une force très importante se crée entre ces femmes et leur redonne de l'ardeur: "La parole de la victime est beaucoup plus forte. Vis-à-vis de la justice, c'est aussi très important, parce que les agresseurs sexuels sont souvent multirécidivistes: la récidive crée cette connexité et cette sérialité."

L'avocate souligne encore: "On oublie de regarder cette sérialité qui est en elle-même une preuve."

La sérialité, une preuve

Pour Hélène Devynck, victime présumée de Patrick Poivre d'Arvor, la notion de sérialité peut tout changer: "Dans notre affaire, elle est absolument capitale. Parce qu'on a un homme, Patrick Poivre d'Arvor, qui est accusé par des femmes depuis 1981: c'est une très très longue impunité et on raconte toutes la même chose." Elle précise qu'il y a deux ou trois modes opératoires: "Mais on raconte toutes avec les mêmes mots, les mêmes gestes, exactement la même chose."

Comme beaucoup de ces femmes ont parlé tardivement, leurs affaires étaient supposément prescrites: "La sérialité permet de faire tomber la prescription. Pour que cela soit prescrit, il aurait fallu qu'il y ait des périodes de dix ans pendant lesquelles il n'y a aucune plainte. Or il n'y en a pas depuis 1985."

A ce jour, un seul cas n'est pas prescrit dans cette affaire: le viol présumé de Florence Porcel survenu en 2009. Il pourrait amener d'autres affaires devant la justice.

L'importance du mode opératoire et de sa répétition

Dans la notion de sérialité des viols, le mode opératoire compte beaucoup. Et dans l'affaire PPDA, il y a répétition de la façon de faire: une visite sur le plateau du 20h puis un passage dans son bureau et un viol présumé: "Après, il faut démontrer la culpabilité de l'auteur pour que cela tienne, évidemment", remarque l'avocate Corine Hermann. "Mais c'est aussi un argument de preuve car quand vous avez dix, quinze, vingt femmes qui viennent raconter la même chose, c'est une preuve en soit. Parce que quand elles ont le même langage, décrivent les mêmes faits, les mêmes modes opératoires, on est bien devant une série."

La plainte, révélée par le journal Le Monde, fait état du même mode opératoire au siège de TF1 où des perquisitions ont été menées à l'époque.

>> Lire : Patrick Poivre d’Arvor, la chute d'un intouchable de la TV française

De PPDA à Dominique Pelicot

Cette sérialité, on la retrouve dans l'affaire Gisèle Pelicot, du nom de cette femme qui a été droguée puis livrée à son insu à des hommes par Dominique, son propre mari. Le mode opératoire et les viols en série sont les points communs à ces deux affaires.

"Je suis détruite, je ne sais pas comment je vais me reconstruire, me relever de tout ça", disait Gisèle Pelicot la semaine dernière à la barre.

Un sentiment qu'Hélène Devynck comprend: "On ne se sent pas très puissante comme victime... Même si les choses changent un peu, elles changent lentement. Il y a encore beaucoup d'archaïsmes qui font que certaines d'entre nous ne veulent absolument pas être appelées 'victimes'. Par exemple, Gisèle Pelicot dit vouloir témoigner à visage découvert et que les vidéos soient diffusées pour que la honte change de camp. Mais le viol est quand même un crime particulier qui couvre la victime de honte. Et je pense que cette honte, on ne s'en débarrasse jamais complètement."

Dans l'affaire Pelicot, une femme est seule face à cinquante-et-un violeurs (lire encadré). Dans celle de PPDA, il s'agit d'un seul accusé face à plusieurs femmes, toutes dans l'attente d'un procès. L'ancienne star du 20h est mis en examen depuis près d'un an pour le viol présumé et non prescrit de Florence Porcel. Il est à ce jour toujours présumé innocent.

A noter qu'en Suisse, la sérialité s'appelle un "concours d'infractions", mais ce dernier n'oblige pas un procureur à instruire une affaire prescrite.

Sujet radio: Natacha Van Cutsem

Article web: Stéphanie Jaquet

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Une pause dans le procès des viols de Mazan

Les audiences du procès des viols de Mazan, devant la cour criminelle du Vaucluse à Avignon, sont interrompues à mi-parcours pour une semaine de repos. Elles reprendront le 4 novembre et le verdict est attendu pour le 20 décembre.

>> Lire :  "Je suis une femme totalement détruite", dit Gisèle Pelicot au procès des viols de Mazan

Les huit premières semaines de ce procès hors norme ont déjà braqué les projecteurs sur d'importants débats sociétaux comme la soumission chimique, les violences sexuelles et la question du consentement. Gisèle Pelicot fait déjà figure d'héroïne féministe ayant osé défier ses bourreaux.

Une exemplarité assumée par celle qui a refusé le huis clos, pour que "toutes les femmes victimes de viol se disent 'Madame Pelicot l'a fait, on peut le faire'," a-t-elle affirmé devant la cour mercredi. "Je ne veux plus qu'elles aient honte. La honte, ce n'est pas à nous de l'avoir, c'est à eux (...) J'exprime surtout ma volonté et détermination pour qu'on change cette société".

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