Laurent Foiry met en garde contre le "complotisme scientifique" et prône un doute constructif
Le Covid-19 aurait été intentionnellement créé afin de permettre à l'industrie pharmaceutique de générer des profits colossaux. Bill Gates aurait cherché à tirer parti de la vaccination pour implanter des puces électroniques et ainsi contrôler la population mondiale. Le virus aurait été fabriqué par les Etats-Unis pour jeter le discrédit sur son ennemi de toujours, la Chine.
Quand on ne comprend pas et qu'on ne sait pas où l'on va, l'émotion parle parfois plus que la raison et ça peut pousser les gens à douter de ce qu'on leur dit
La pandémie de Covid-19 a été un terreau très fertile au développement de théories complotistes aussi diverses que variées, explique dans La Matinale le docteur en génétique moléculaire et biologiste Laurent Foiry. Il vient de publier un ouvrage intitulé "Les faux-savants: plongée au cœur du complotisme scientifique" aux éditions de l’Aube, dans lequel il décrypte le phénomène aussi appelé "dénialisme", ou rejet du consensus scientifique.
"C'est le rejet de faits avérés ou de preuves, en faveur d'idées en général plutôt radicales, non étayées ou non prouvées", détaille-t-il. Il en existe plusieurs sous-catégories, comme le platisme, le fait de croire que la Terre est plate ; le climato-scepticisme, le fait de rejeter le changement climatique; ou en l'occurrence le viro-dénialisme, le fait de nier l'existence des virus.
La science a toujours été un terrain propice au développement des théories complotistes, note-t-il, car "la science est compliquée à saisir". "Quand on ne comprend pas et qu'on ne sait pas où l'on va, l'émotion parle parfois plus que la raison et ça peut pousser les gens à douter de ce qu'on leur dit."
Gourous vs. adeptes
Dans le complotisme, on distingue deux grands profils d'individus: "les gourous et les adeptes", décrypte Laurent Foiry.
Parmi les gourous, ou ceux qui manipulent les autres, on retrouve des profils très similaires à ce qu'on pourrait observer dans des phénomènes sectaires plus traditionnels
Les premiers, autrement dit ceux qui manipulent les autres, ont généralement un objectif derrière. Un objectif qui peut être politique, religieux, économique, psychologique ou égotique, énumère-t-il. "Parmi eux, on retrouve des profils très similaires à ce qu'on pourrait observer dans des phénomènes sectaires plus traditionnels."
Derrière l'objectif économique que poursuivent certains de ces gourous - une dimension que le chercheur appelle le "conspi-business" -, il y a souvent la volonté de monétiser la crédulité des gens en leur vendant par exemple des formations ou des livres, analyse-t-il.
Mais ça peut aussi aller plus loin et avoir des conséquences autrement plus graves, notamment lorsque l'objectif est politique. "Dans ce cas-là, le gourou pourrait chercher à déstabiliser les gens en plantant les graines du doute un peu partout, de les laisser prospérer, afin d'en tirer un avantage quelconque par la suite."
Adeptes pourtant cultivés
Du côté des adeptes de théories complotistes, ce qui peut surprendre, c'est qu'il ne s'agit pas d'individus plus ignorants ou naïfs que les autres. Au contraire, insiste-t-il. "Ce sont des gens cultivés, qui se posent énormément de questions, qui s'expriment bien, qui ne font pas de fautes d'orthographe lorsqu'ils s'expriment sur les réseaux sociaux, qui font leurs propres recherches."
Il faut commencer très tôt à expliquer aux plus jeunes comment se poser des questions, comment analyser des sources pour ne pas tomber dans la paranoïa
Mais ce sont souvent des personnes qui ont peur à un moment donné, en l'occurrence lorsqu'un virus surgit soudainement, et qui vont adhérer à des idées plus ou moins farfelues pour se protéger. "C'est un moyen facile pour eux de dire 'non, je n'ai pas peur, tout ce qui se passe n'est pas réel, donc je l'ignore'."
Pour venir à bout du complotisme scientifique, rien de mieux, pour Laurent Foiry, que la pédagogie. "Ce n'est pas mal de douter, critiquer et remettre en cause, mais il faut apprendre à le faire de manière constructive." Une mission dont l'école pourrait peut-être se charger plus en profondeur, "en expliquant le plus tôt possible aux enfants comment se poser des questions, comment analyser des sources pour ne pas tomber dans la paranoïa", conclut-il.
Propos recueillis: Delphine Gendre
Texte pour le web: Fabien Grenon