"Le crack, on a la sensation de ne jamais en avoir assez", témoigne un consommateur régulier
"Quand on consomme le crack, on a la sensation de ne jamais en avoir assez et c'est ça le problème: les gens en veulent toujours, toujours, toujours, toujours...", explique Nils au micro de CQFD. "Les gens qui commencent la première fois à fumer tombent souvent dedans. Et après, si tu en consommes trop, ça frustre."
J'ai vraiment tout perdu à cause du crack
La cocaïne basée, aussi surnommée crack (lire encadré), est un petit caillou qui peut s'acheter en quelques minutes dans certaines villes comme Genève.
Souvent appelée "drogue du pauvre", cette substance n'est pas chère et se vend à partir de dix francs la taffe, l'inhalation: "J'ai eu cette phase-là: je touchais mon salaire et je me disais 'je me prends un truc à soixante balles', mais le lendemain je me réveillais et le compte était vide, parce que, toute la nuit, j'avais claqué l'argent", se souvient cet usager régulier de crack. "C'est la déchéance. J'ai vraiment tout perdu à cause du crack."
Son effet est intense et de très courte durée: "Maximum un quart d'heure, vingt minutes", estime Max, la trentaine, rencontré derrière la gare de Genève, non loin du Quai 9, un espace d'accueil, de soins, et de consommation. Ce lieu a interdit le crack dans ses locaux, car cette drogue rend les gens nerveux, impulsifs, violents: la sécurité du personnel ne pouvait plus être assurée. Une annexe devrait être créée spécifiquement pour la consommation de cette substance.
Une spirale incontrôlable
Le besoin d'en reprendre est incontrôlable, frénétique: "Ça s'arrête vite. Du coup, on a vite envie d'en reprendre." Usagers et usagères en oublient de se nourrir ou de s'hydrater, obnubilés par leur prochaine dose: "J'ai envie, j'ai envie... Se sentir fatigué et se dire 'je ferais bien une pipe à crack, ce serait bien'. Et puis les effets quand on fume: on sent un apaisement, un relâchement de soi, de lâcher prise, de bien-être".
Plus on consomme, plus on s'habitue; plus on s'habitue, plus on consomme
Max décrit une dépendance psychologique "qui joue aussi beaucoup sur le physique": "Plus on consomme, plus on s'habitue; plus on s'habitue, plus on consomme. Du coup, les doses deviennent de plus en plus grosses, les quantités de plus en plus grandes et c'est compliqué après."
Celui qui a commencé vers quinze ou seize ans, "de manière festive" avec l'héroïne, puis le crack , dit aujourd'hui consommer tous les jours depuis six mois: "Je prends cinq grammes par jour à peu près. On achète un demi-gramme, on consomme, on achète un gramme, on consomme et voilà. Toujours pareil, on achète de la cocaïne en poudre qu'on cuisine nous-mêmes." Selon lui, cela représente "une trentaine de taffes par jour", pour un coût de 30 à 40 francs le demi-gramme.
Un grand dénuement
Le crack provoque de gros dégâts sur la santé et piège les personnes qui en consomment. La dégringolade est souvent rapide, tout comme la coupure avec la famille, le travail, les amitiés. De nombreuses personnes, déjà précaires, se retrouvent sans abri, dans un très grand dénuement, ce qui amène d'autres problèmes de santé et d'accès aux soins. "Moi, je fais la manche la journée, la nuit, avec ma femme aussi", reconnaît Max, qui dort sous un pont, pas très loin de la ville. "Je nourris principalement mes chiens et après je pense à la drogue."
Pour l'heure, il n'existe pas de produit de substitution, contrairement à la méthadone, utilisée pour remplacer l'héroïne: "Il n'y a pas d'alternative à part des vitamines, parce qu'apparemment, ça bouffe beaucoup d'énergie", confirme Nils. La médecine est démunie: cette addiction se traite difficilement, car il n'existe pas de traitement ni de réponse unique.
Pour cet homme de bientôt 40 ans, qui se dit aussi alcoolique, un travail et une situation plus stable pourraient l'aider: "Je pense que pour tout consommateur de crack, le fait d'avoir une activité, une stabilité ou une occupation permet de prendre du recul et d'éviter la consommation." Tout comme un bon entourage "parce que s'entourer de bonnes personnes, c'est compliqué quand on côtoie des gens du même milieu".
L'hôpital descend dans la rue
Face à ce problème de santé publique, la Ville de Genève a lancé un programme sur plusieurs axes avec une coordination entre services sociaux, police et santé. Une stratégie de santé publique dite de réduction des risques, consistant à protéger la santé de la personne qui consomme. Cela passe par le traitement des infections, des problèmes pulmonaires, des blessures et des problèmes psy: ce n'est pas forcément l'abstinence qui est visée, si la personne n'est pas prête.
Depuis le 1ᵉʳ novembre 2023, les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) se rendent sur place, auprès des consommateurs et consommatrices. Un tandem médecin-infirmière quadrille la ville à pied ou à vélo, dans les lieux où le crack est inhalé.
L'équipe RUE – pour Réponse Urgente et Engagée – du service d'addictologie des HUG, qui se concentre sur la consommation de crack, est constituée de sept personnes: une médecin, trois infirmières et trois pairs-aidants, soit des personnes anciennes consommatrices, abstinentes, formées et compétentes.
A ce jour, 123 patientes et patients de la rue ont entamé un parcours de soins aux HUG grâce au travail de terrain de cette équipe. Il s'agissait pour la plupart de personnes sorties du système de santé: le bilan est réussi, la cible atteinte. Mais la vigilance est de mise, car on pourrait s'attendre à d'autres crises, comme celles du fentanyl, une préoccupation majeure dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis et au Canada.
>> A consulter : Podcast - Qu’est-ce que le fentanyl, cette drogue ultra-dangereuse?
Sujet radio: Laurence Froidevaux
Article web: Stéphanie Jaquet
Qu'est-ce que le crack?
Appelée caillou ou galette, le crack est en fait de la cocaïne, un produit consommé depuis très longtemps.
La différence réside dans le fait que, pour produire cette variante hautement addictive, la cocaïne est mélangée à d'autres substances, comme de l'ammoniac ou du bicarbonate: ces produits ont pour effet de la solidifier.
La cocaïne ainsi transformée est vendue sous la forme d'une petite boule prête à être inhalée immédiatement, par la bouche, dans une pipe à crack après avoir été chauffée: c'est ainsi que l'effet est le plus fort et le plus rapide.
Consommée de cette manière, cette substance est beaucoup plus dangereuse que la cocaïne en poudre, habituellement sniffée par le nez.