Le "quiet vacationing", ou prendre des vacances sans le dire à son patron, prend de l'ampleur
Ce nouveau mot à la mode dans le monde du travail est très présent sur les réseaux sociaux. De nombreuses vidéos parlent de ce phénomène qui consiste à prendre du bon temps, sans toucher à son solde de vacances.
Concrètement, la recette du "quiet vacationing" est simple: l'employé ou l'employée prend des vacances, parfois à l’étranger, sans en informer personne et en fait juste assez pour ne pas se faire pincer. Il s'agira par exemple de répondre seulement aux mails absolument indispensables ou de participer uniquement aux séances capitales.
Il est également possible de programmer des mails à 7h ou à 21h pour simuler des heures supplémentaires. L'employé peut aussi recourir à un outil pour simuler le mouvement de sa souris pour faire croire qu'il est actif.
Culture de travail toxique
Le phénomène, plutôt anglo-saxon, fait écho au "quiet quitting", qui consiste à ne faire que le strict minimum au travail pour préserver sa santé mentale ou son équilibre personnel, qui s'est répandu sur les réseaux sociaux il y a deux ans.
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Charge professionnelle très élevée, pression à être disponible et réactif aux demandes, pas assez de place pour la vie privée: le quiet vacationing serait lui aussi une réponse à une culture de travail toxique.
Certains employés craignent également que prendre des vacances soit mal vu par leur hiérarchie et leur coûte une promotion ou une augmentation de salaire. Cette appréhension est très présente aux Etats-Unis, mais en Suisse aussi, selon des responsables en ressources humaines, certains salariés se sentent coupables de poser des congés et hésitent à le faire.
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Phénomène amplifié par le télétravail
Le quiet vacationing serait surtout le fait des jeunes générations. Mais, aux yeux d’Anne Donou, la directrice romande du cabinet de placement Von Rundstedt, cela ne signifie pas forcément qu'elles sont plus enclines à tricher sur leur temps de travail. La véritable différence, selon l'experte, est que la génération Z, c'est-à-dire les personnes nées entre 1997 et 2010, est plus honnête à ce sujet.
"La génération Z dit les choses de façon extrêmement transparente: 'je télétravaille parce que j'ai quelque chose à faire à la maison ce jour-là, j'en profite pour faire une machine ou mon ménage'", explique Anne Donou dans La Matinale de la RTS. "Les générations X (personnes nées entre 1965 et 1980) et Y (personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990) ne sont pas prêtes à entendre ça, mais elles le font aussi", ajoute-t-elle.
Si le concept est nouveau, les filouteries du quotidien existent depuis que le travail existe et ne sont pas propres au télétravail. "Il y a des gens qui vont rester à la machine à café un nombre d'heures conséquent, qui vont surfer sur le Net depuis leur ordinateur en étant au bureau", indique Anne Donou. "Les meetings fictifs dans les agendas, on en a vu aussi".
La démocratisation du télétravail a cependant amplifié le phénomène, car "il fait que l'on n'est pas directement sous l'oeil du manager, donc le niveau de contrôle est moindre".
Retour de bâton
La médiatisation du quiet vacationing fait donc craindre un retour de bâton. "Si vous faites du télétravail, faites attention parce que les entreprises vont commencer à imaginer des manières de mieux vous tracker. Je sais que certaines sociétés placent déjà des GPS dans les ordinateurs", met en garde une utilisatrice sur TikTok.
"Je pense que de plus en plus d'entreprises vont exiger de savoir où sont les ordinateurs de tout le monde en permanence pour être sûr que vous n'abusez pas du système", poursuit-elle.
En Suisse, un employeur a le droit d'exiger de savoir où travaille son employé, si celui-ci est à l'étranger, car cela peut avoir des conséquences au niveau fiscal ou sur les assurances. En revanche, sans consignes particulières, il est possible de télétravailler depuis n'importe où à l’intérieur du pays.
Malgré tout, expérimenter le quiet vacationing représente un gros risque. Les personnes le pratiquant s'exposent même à un licenciement, estime Rémy Wyler, avocat et spécialiste du travail, car les employés sont tenus de travailler sur leur temps de travail rémunéré.
Pour Anne Donou, le phénomène montre surtout qu'une réflexion globale est nécessaire autour de l'organisation du travail. Comment le rémunère-t-on? Le salaire mensuel est-il toujours pertinent? Et surtout: comment mesure-t-on les performances de chacun et chacune?
Sujet radio: Cléa Favre
Adaptation web: Emilie Délétroz