Le 19 novembre, journée mondiale des toilettes, est l'occasion de revenir sur ce lieu singulier, bien plus important qu'on ne le pense, notamment dans les écoles. Telle est en tout cas l'observation de la chercheuse en sciences de l'éducation Isabelle Joing.
Interrogée mardi dans l'émission Forum, la maîtresse de conférence à l'Université de Lille et co-auteure d'une étude sur les toilettes scolaires en France a passé cinq mois auprès d'écoliers âgés de 10 à 15 ans pour comprendre comment ils perçoivent ce lieu. Premier constat de son enquête ethnographique: les toilettes sont ressenties comme un lieu extrêmement important à la fois pour les élèves et le personnel des écoles.
Un abri bien au chaud
"En fonction des élèves, elles ne sont pas utilisées et perçues de la même manière", développe Isabelle Joing. Element qui ressort le plus: à peu près la moitié des élèves les considèrent comme un lieu de refuge, pour plusieurs raisons, la première sobrement pratique.
"Les élèves recherchent un lieu pour pouvoir discuter, échanger, se regrouper au chaud. Or, dans l'écosystème scolaire, ils sont la plupart du temps regroupés dans la cour de récréation lors des temps de pause. Ils subissent ainsi parfois les effets d'un "stresseur" environnemental, le froid. Faute d'avoir d'autres espaces plus appropriés, les toilettes deviennent un refuge pour pouvoir se regrouper au chaud", explique la chercheuse.
Les élèves sont à la recherche de coins, de recoins... Ils ont besoin de créer des espaces privés. Si on ne leur en donne pas, ils utilisent les toilettes pour répondre à ce besoin
A l'inverse, pour certains, elles peuvent aussi être un lieu où l'on s'isole des autres afin d'être tranquille, particulièrement pour les élèves en difficulté. "C'est un lieu que les élèves en mal-être identifient pour pouvoir s'isoler, parfois pour échapper à la cour de récréation et donc au regard des pairs", note Isabelle Joing.
Déroger temporairement aux règles
C'est aussi un refuge pour échapper au regard des adultes. "Les élèves sont à la recherche de coins, de recoins... Il y a un besoin de "privacité", ils ont en fait besoin de créer des espaces privés", a observé la co-auteure de l'étude. "Si on ne leur donne pas d'autre espace, ils utilisent les toilettes pour pouvoir répondre à ce besoin-là".
C'est aussi un espace de planque pour les élèves, parce que c'est un des rares espaces à l'abri des regards des adultes
Puisqu'elles sont à l'abri du regard des adultes et donc de l'autorité, les toilettes peuvent aussi devenir un espace de planque, où un comportement inadapté et interdit par le règlement peut s'exercer, relève Isabelle Joing. C'est ainsi le lieu par excellence de consultation du smartphone, banni des cours, voire de tout le périmètre scolaire dans plusieurs écoles. Faute de contrôle, on peut aussi y venir pour fumer ou taguer.
Comme il en existe forcément dans tous les établissements, les toilettes deviennent un peu le lieu par défaut où toutes les activités auquel un espace spécifique n'a pas été attribué peuvent s'exercer. "Si l'espace scolaire n'est pas organisé pour proposer des espaces privés permettant d'exprimer de l'autonomie, de la liberté, avec des coins et recoins, les élèves vont en trouver un", résume la chercheuse.
Une intimité parfois propice aux violences
A l'instar d'autres endroits où il y a des regroupements, les toilettes peuvent générer de l'insécurité, chez les plus jeunes notamment, souligne aussi Isabelle Joing. Le lieu-refuge de l'élève rejeté peut ainsi parfois se transformer en lieu où le harcèlement peut se poursuivre ou s'aggraver.
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Cette multiplicité du rôle des toilettes se retrouve-t-elle aussi chez les adultes, dans les lieux collectifs, voire dans le privé, à domicile? Les toilettes y servent-elles aussi de refuge?
"Certains y passent beaucoup plus de temps que d'autres! Pour pouvoir lire, bouquiner, faire durer le moment... Effectivement, on voit là aussi que l'on détourne la fonctionnalité première de ce lieu", confirme Isabelle Joing, qui y retrouve une pluralité d'usages.
Propos recueillis par Mehmet Gultas et Coraline Pauchard
Adaptation web: Vincent Cherpillod