Une question centrale se pose à toutes les universités: comment évaluer les travaux des personnes inscrites, maintenant que l'utilisation de l'IA se normalise? Pour Swissuniversities, la faîtière des hautes écoles, les évaluations devront être repensées pour dépasser la simple reproduction ponctuelle de connaissances et davantage permettre d’apprécier l'acquisition de compétences.
A Genève, l'université a pris position au début de l'été, affirmant être favorable à l'utilisation de l'intelligence artificielle. Le rectorat rappelle que ce sont les différentes facultés qui sont responsables d'édicter des consignes claires et d'adapter, si nécessaire, les évaluations.
L'Université de Lausanne propose elle depuis le début de l'année des lignes directrices pour ses étudiants et pour le corps enseignant. Elle a constitué ce printemps un groupe de travail composé d’une vingtaine de personnes de toutes les facultés.
Citer et référencer correctement
De son côté, l'Université de Neuchâtel a publié un document qui formalise l'utilisation de l'IA, aux côtés des règles sur le plagiat. Ce guide suit la logique suivante: l'étudiant doit citer tout ce qu'il n'a pas écrit lui-même et le référencer correctement.
"On travaille depuis plusieurs semestres sur ces questions. Les informations distribuées jusqu'ici l'étaient sur des pages web et divers documents écrits. On a maintenant atteint un niveau de clarté suffisant pour pouvoir publier un seul guide pour toute l'Université", a expliqué mercredi dans La Matinale de la RTS le recteur de l'Université de Neuchâtel Kilian Stoffel.
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On encourage les étudiants à garder les traces de la manière avec laquelle ils ont utilisé l'IA
Le guide neuchâtelois est propre à l'établissement, chaque université étant libre de mettre en place sa propre politique face aux IA. Mais de nombreuses discussions sont menées entre les différents établissements, précise-t-il.
"Le guide montre, pour plus ou moins toutes les utilisations de l'IA, comment elle doit être citée. On encourage aussi les étudiants à garder les traces de la manière avec laquelle ils ont utilisé l'IA", détaille Kilian Stoffel, ajoutant qu'il est aussi possible que dans certaines activités, l'usage de l'IA soit complètement interdit.
Adapter les questions et l'évaluation des réponses
Mais comment faire pour évaluer de manière équitable le travail de mémoire d'un étudiant entièrement écrit de sa main face à celui d'un autre qui aurait, par exemple, utilisé ChatGPT pour en écrire quelques pages, en référençant correctement son usage? "Il y a effectivement un regard différent" à porter dans ces cas-là, convient le recteur de l'Université de Neuchâtel. "Tout comme il faut que les questions et les sujets des examens soient adaptés en conséquence".
Les outils à disposition pour détecter ces abus évoluent et sont de plus capables de détecter ce genre de textes
Il va être demandé aux étudiants d'avoir un regard plus critique sur les sujets abordés, voire de critiquer directement la production de l'IA. Il n'y aura "pas nécessairement" davantage d'examens oraux, indique-t-il, mais plutôt des questions demandant à l'étudiant sa réflexion plutôt que la reproduction d'un contenu déjà écrit quelque part.
Risque d'expulsion en cas de fraude
Se pose aussi la question des moyens à disposition des universités pour détecter du contenu généré par IA mais non déclaré comme tel par un étudiant. "Les outils pour détecter ce type d'abus évoluent et sont de plus capables de détecter ce genre de textes", avance Kilian Stoffel.
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Un élève qui ne cite pas l'IA alors qu'il l'a utilisée risque l'annulation de son examen, voire de tous les examens de la session en cours. Chaque faculté peut aussi réclamer des sanctions disciplinaires. Dans ce cas, le rectorat peut aller jusqu'à une exclusion pure et simple, avertit le recteur de l'Université de Neuchâtel.
Propos de Kilian Stoffel recueillis par Valérie Hauert
Sujet radio: Romain Bardet, Camille Degott
Adaptation web: Vincent Cherpillod
L'EPFZ lance des formations continues autour de l'IA
L'intelligence artificielle fait aussi sa rentrée à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, avec de nouvelles formations continues qui veulent "préparer les leaders à l'avenir numérique et à l'IA". Car même dans le secteur des technologies, certains cadres intermédiaires manquent de connaissances techniques. C'est en particulier à ces personnes que s'adressent ces cursus facturés entre 8500 et 42'000 francs, avec une cinquantaine d'inscriptions pour cette rentrée.
Pour Bernd Gärtner, directeur du nouveau MAS [un titre de formation continue qui correspond à 60 crédits ECTS, à ne pas confondre avec un Master, ndlr] en intelligence artificielle et technologie numérique, l'un des objectifs est d'éviter qu'un fossé se crée au sein de la société.
Beaucoup n'ont pas les connaissances de base sur le sujet
"Dans la société, certains pensent que les techniques de l'information et l'intelligence artificielle vont nous sauver, ou alors elles sont diabolisées: c'est soit tout noir, soit tout blanc. C'est comme ça parce que beaucoup n'ont pas les connaissances de base sur le sujet et ne savent pas comment ça fonctionne", a-t-il analysé mercredi dans La Matinale de la RTS.
"On considère que c'est notre mission de permettre aux gens de se former. C'est important, car beaucoup de décisions sur notre futur sont prises par des cadres qui n'ont pas les connaissances spécifiques dont ils auraient besoin pour prendre de bonnes décisions", poursuit le spécialiste, qui met en garde: "C'est une mauvaise chose quand il n'y a que quelques experts au courant et que les autres suivent leurs recommandations. La société doit avoir des connaissances de base en informatique et en IA".
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Premiers cours enrichis par l’IA à Fribourg
Les premières leçons enrichies par l’IA ont été données mercredi matin au collège (secondaire II) de Gambach à Fribourg. Enseignants et élèves ont les opportunités mais aussi les défis que peut offrir ce nouvel outil.
Les élèves, en particulier, ont vite compris le potentiel de l’intelligence artificielle, notamment pour gagner du temps. Du côté des enseignants, la démocratisation de l'IA leur impose de revoir leur façon d’enseigner. Tous ne se réjouissent pas de l’arrivée de ce nouvel outil, mais l’école n’a pas d’autre choix que de s’adapter, estime la direction du collège de Gambach.