L'amour au travail, entre parfaites idylles et liaisons dangereuses
Stéphane a rencontré sa conjointe il y a trois ans, à son arrivée dans une entreprise veveysanne de formation pour adultes. "Le travail a permis qu'on se connaisse progressivement, pendant des mois. Le maître mot de notre relation, c'est step by step", raconte ce formateur audiovisuel.
Lorsque la relation débute, il voit sa motivation au travail redoubler: "C'était enivrant, ça me portait. J'avais juste envie d'aller au travail pour la voir, croiser son regard et son sourire", explique Stéphane.
Les deux tourtereaux décident de ne pas divulguer leur histoire à leurs collègues, puis l'annoncent au département des ressources humaines après trois mois de romance: "Elles ont été surprises, mais très bienveillantes."
A ce moment-là, sa partenaire a déjà trouvé un nouvel emploi ailleurs et s'apprête à quitter l'entreprise: "Heureusement que ça ne s'est pas prolongé, car elle avait aussi un lien avec le pôle des ressources humaines; peut-être que [notre histoire] aurait fini par poser problème", avance Stéphane.
Pas toujours bénéfiques à l'entreprise
Portant sur 1682 personnes, une étude du cabinet français Technologia publiée cette année montre que 46% des employés et employées auraient déjà connu des histoires d'amour dans le cadre professionnel.
Ces relations peuvent aussi poser des sérieux problèmes. Ainsi, les répondants identifient de nombreux risques de dérives telles que l'apparition de rumeurs et de jalousies sur le lieu de travail, des problèmes d'équité et de favoritisme entre les employés, des abus, une mise à l'écart.
Les relations privées que peuvent nouer deux collaborateurs en principe ne concernent pas l'entreprise et l'entreprise ne peut pas édicter une directive prohibant toute relation amoureuse sur le lieu de travail
Selon Jean-Claude Delgènes, le fondateur de Technologia, une proximité très forte entre deux employés peut rendre "compliqué de faire prévaloir des dimensions économiques et financières".
"Quand vous avez des objectifs à atteindre, que vous avez une rentabilité à tenir, voire que vous avez des licenciements à faire, c'est très contradictoire avec la prise en compte d'une dimension émotionnelle qui peut intervenir du fait d'une relation amoureuse", développe-t-il.
Un examen réalisé par un cabinet
Il est important pour les entreprises de cadrer au mieux les relations internes. Elles peuvent pour cela se tourner vers des cabinets juridiques pour voir ce que la loi permet. A l'image de celui où travaille Pieric Henneberger, juriste senior au sein du cabinet DroitActif. Dans ce domaine, la marge de manœuvre des patrons est plutôt limitée: "Les relations privées que peuvent nouer deux collaborateurs en principe ne concernent pas l'entreprise et l'entreprise ne peut pas édicter une directive prohibant toute relation amoureuse sur le lieu de travail", souligne-t-il.
Il est possible en revanche de cadrer les relations avec la hiérarchie ou d'instaurer un devoir d'annonce pour l'employé.
Un règlement interne
Mais ces options ont des effets plutôt limités à en croire le directeur opérationnel du groupe de sport Harmony Nicolas Tcheng. Il a régulièrement été confronté à des histoires d'amour entre employés. Malgré ses multiples formations en management, il a dû se débrouiller pour trouver une solution pour réguler les problèmes: "On est préparé à un cadre légal, mais pas à gérer [ces relations]. On ne nous en parle jamais, que ce soit dans les études ou la formation continue", relève-t-il.
Son groupe a instauré des directives dans le règlement intérieur, telles que l'interdiction des relations avec les subordonnés hiérarchiques et une obligation d'annonce en cas de romance. "Il faut qu'on puisse garantir un cadre de travail équitable et juste", précise Nicolas Tcheng. Les effets de ces directives semblent toutefois limités, puisqu'aucun cas n'est annoncé à la hiérarchie dans la pratique.
La question des différences hiérarchiques
Les relations impliquant une différence hiérarchique sont les plus mal vues parmi le personnel. Si 84% des employés jugent acceptable d'avoir une relation avec un ou une collègue, ils ne sont plus que 43% s'il s'agit d'une histoire avec un ou une supérieur hiérarchique.
J'avais peur d'être jugée. Et peut-être aussi que les collègues changent avec moi
Vanessa et Kevin ont connu cette situation. Elle a soulevé de nombreuses questions lors de l'établissement du couple. Kevin gère huit magasins de seconde main dans la région lémanique. Vanessa a commencé à y travailler il y a cinq ans. Il y a un an et demi, leur histoire d'amour débute, d'abord sans informer les collègues et associés. Une évidence pour le couple, et surtout pour Vanessa.
"J'avais peur d'être jugée. Et peut-être aussi que les collègues changent avec moi, qu'ils pensent: 'On ne parle plus à Vanessa parce qu'elle racontera tout à Kevin.' J'avais peur de perdre la communication avec mes collègues et mon identité au travail", raconte-t-elle.
Une fois l'histoire déclarée, le couple a pris en compte les craintes de favoritisme de leurs collègues. "Il me traite comme tous les employés. C'est la règle que nous nous sommes donnée tout de suite dans notre relation. (…) Je pense même qu'il est plus sévère avec moi qu'avec les collègues", précise Vanessa.
Trouver l'équilibre
Ces craintes se sont tassées avec le temps. Leur histoire d'amour ne pose aujourd'hui plus aucun problème, leur complicité leur permet même de conclure de très belles ventes, assurent-ils.
Ils veillent à ce que le travail n'interfère pas trop sur la vie privée. Ce n'est pas toujours évident pour Kevin: "Quand elle rentre, elle veut me raconter sa journée. Mais à un moment donné, je ne peux plus toujours penser au travail. C'est assez compliqué. Maintenant ça va. Nous en discutons pendant un petit moment, puis nous passons à autre chose", dit-il.
Les deux amoureux ont trouvé un équilibre entre leur vie de couple et leur vie professionnelle. Mais la magie de l'amour ne suffit souvent pas: dans une majorité de couples nés au travail, l'un des deux partenaires change d'employeur pour préserver la relation, note le chercheur Jean-Claude Delgènes.
Micaela Mumenthaler/ami