Faut-il intégrer la notion de justice restaurative dans la législation suisse? C'est le souhait de la conseillère nationale Lisa Mazzone (Verte/GE) qui a déposé un postulat allant dans ce sens. Le Conseil fédéral, dans une prise de position le 14 novembre, a proposé d'accepter ce texte.
Cette décision survient alors qu'une révision du Code de procédure pénale (CPP) est en cours. D'aucun militent pour qu'une disposition en faveur de la justice restaurative figure dans le CPP revisité.
"En Suisse, il y a une tendance très lourde à la répression. Beaucoup d'interventions parlementaires le démontrent. Mais le Conseil fédéral est sensible à ces outils de justice restaurative. C'est pourquoi il propose d'étudier cette piste" dit Lisa Mazzone, interrogée par le 19h30. Elle précise qu'"on peut voir la justice restaurative comme quelque chose de très novateur ou d'incongru, mais que ça existe dans beaucoup de pays depuis plusieurs années, même dans l'Union européenne".
L'avocate, professeure de droit pénal à l'Université de Lausanne et présidente de l'Association pour la justice restaurative en Suisse, Camille Perrier Depeursinge, explique que la médiation pénale est l'exemple le plus emblématique de la justice restaurative.
Selon elle, cette justice qui peut avoir lieu à n'importe quelle étape de la procédure pénale, peut profiter aussi bien à la victime qu'à l'auteur. "Beaucoup de victimes sont déçues par le système judiciaire en place. Elles ont l'impression de ne pas être écoutées ni entendues. Le dialogue avec l'auteur leur permet de déposer leur fardeau et d'avoir des réponses aux questions qu'elles se posent. Ces réponses peuvent vraiment les aider à tourner la page, à comprendre qu'elles n'y étaient pour rien, qu'elles n'ont pas à culpabiliser", souligne Camille Perrier Depeursinge.
Risque de récidive diminué
Le dialogue réparateur, comme on l'appelle aussi, serait également bénéfique pour l'auteur. "Cela peut lui permettre de prendre conscience du mal qu'il a fait subir à la victime et de ne pas s'enfermer dans une forme de déni. Beaucoup d'auteurs d'infractions ont tendance à dire que la société a été injuste avec eux et que le crime était par conséquent justifié. Quand on a la victime en face de soi, ce n'est plus possible. On doit reconnaître qu'on a fait du mal", détaille la professeure de droit.
Camille Perrier Depeursinge relève que plusieurs études montrent que "les victimes ayant eu accès à un processus de justice restaurative souffrent moins de stress post-traumatique. Ce processus réduit aussi le risque de récidive des auteurs."
Utilisée dans plusieurs pays dans le monde entier, la justice restaurative reste méconnue en Suisse. Camille Perrier Depeursinge rappelle que si notre pays a introduit la médiation pénale dans le droit pénal des mineurs en 2007, aucune base légale spécifique ne permet aux adultes d'avoir accès à la justice restaurative. "S'il y avait une base légale, les autorités proposeraient plus facilement aux parties cet outil supplémentaire. Ce n'est pas le cas aujourd'hui", regrette-t-elle.
"Que ressent ma victime?"
En Suisse alémanique, un programme de dialogue restauratif a été mis en place à la prison de Lenzbourg, dans le canton d'Argovie. Pendant plusieurs semaines, un groupe de détenus rencontre un groupe de victimes. Ils échangent en présence d'un médiateur. Le réalisateur François Kohler, auteur du documentaire " Je ne te voyais pas", qui sera diffusé l'année prochaine, a pu filmer ces rencontres.
Dans son film, dont le 19h30 présente un extrait, un détenu raconte ce que ces échanges lui ont apporté. "Je voulais absolument savoir ce que ressentent les victimes. Ce ne sont pas mes propres victimes, mais je voulais savoir ce qu'elles ressentent. Qu'ai-je fait? Que ressent ma victime? Et qu'est-ce que je ressens moi-même?" dit-il dans le documentaire.
"La prison, ce n'est pas juste la privation de liberté"
Dans les prisons romandes, la justice restaurative a du mal à se faire sa place. L'établissement de La Brénaz, à Genève, est pionnier. "Nous avons des premiers échanges épistolaires entre un détenu et sa victime", précise Philippe Bertschy, directeur général de l'Office cantonal de la détention. Philippe Bertschy rappelle que la prison, "ce n'est pas juste la privation de liberté, c'est tout le travail qui est fait en termes de réinsertion. Notre mission principale, c'est de préparer le détenu à sa sortie. Il commence sa préparation dès son premier jour de détention. Dans ce cadre-là, tout ce qui est construit ou crée des conditions favorables à la sortie fait clairement partie de notre mission."
Fabiano Citroni
"Ma vie a commencé il n'y a pas longtemps"
Jessica, 25 ans, confie au 19h30 ce que la médiation pénale lui a apporté. Elle avait 7 ans quand elle a été abusée sexuellement par un adolescent qu'elle connaissait. Dépression, anxiété, elle songe au suicide dans les années qui suivent. C'est une fois adulte, à 21 ans, qu'elle décide de porter plainte dans le canton de Vaud. Son avocate lui parle de la médiation pénale, c'est-à-dire un dialogue avec son agresseur. Elle accepte.
"J'avais besoin de réponses à mes questions, d'un échange avec mon agresseur", explique-t-elle. "J'avais aussi besoin qu'on puisse me reconnaître en tant que victime. Je souhaitais également qu'il s'exprime, qu'il dise pourquoi il avait abusé de moi, qu'est-ce qui se passait dans sa vie à ce moment-là. Je n'étais responsable pour rien au monde de ce qui s'était passé, mais nous étions deux, et ce qui s'est passé nous a liés. Il fallait qu'on puisse se délier à travers cette discussion."
Jessica a discuté avec son agresseur à plusieurs reprises, étalées sur plusieurs mois, toujours en présence d'une médiatrice. Elle confie qu'il y a eu "ce moment où je lui ai donné le pardon. C'était un moment très fort où je me suis pardonné à moi-même de ne pas avoir pu lui échapper, d'avoir vécu ça. Ça a été une explosion d'émotions qui étaient bloquées en moi depuis de nombreuses années. Je me suis sentie délivrée de ce mal. C'est une renaissance. Et comme je dis souvent à mes proches, ma vie a commencé il n'y a pas longtemps."