Lorsqu'une entreprise de carrelage italienne est mandatée pour un chantier en Suisse, elle doit annoncer la venue de ses employés au moins huit jours avant le début des travaux. "Il peut y avoir des exceptions lorsqu’il y a des urgences par exemple", précise un responsable cantonal.
Concrètement, l'entreprise remplit un formulaire sur le site du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) qui le transmet ensuite aux cantons concernés. Si les carreleurs italiens sont attendus sur un chantier à Fribourg par exemple, le SEM envoie la demande au Service fribourgeois de la population et des migrants. Celui-ci transmet à son tour le dossier au service public de l’Emploi, chargé d'organiser les contrôles des conditions de ces ouvriers.
Majorité des annonces validée
Soumises à l'accord sur la libre circulation des personnes, la grande majorité des annonces sont validées. En effet, le taux des dossiers approuvés s'élève à 98% à Fribourg et à 95% dans les autres cantons romands. "La vérification des annonces est purement formelle. Elle comprend notamment le respect de la durée maximale du détachement (90 jours, ndlr.) et s'assure que l'entreprise n'est pas frappée par une interdiction de détacher des travailleurs en Suisse", explique le Département genevois de l’emploi et de la santé (DES).
Quant à la durée des traitements de ces annonces, elle varie selon les cantons. A Fribourg, les vérifications s'effectuent dans les 12 heures suivant la réception de l'annonce (jours ouvrables), alors qu'en Valais et dans le Jura, il faut compter 24 heures. Jusqu'à 48 heures sont nécessaires à Genève et dans le canton de Vaud, et entre trois et quatre jours à Berne.
Risque d'un affaiblissement des contrôles
Une fois vérifiés, les dossiers sont expédiés aux organes chargés des inspections sur les chantiers. C'est ici que la règle des huit jours prend tout son sens: "C'est particulièrement utile pour les détachements de courte durée - quelques jours - car cela limite la possibilité des employés de s'envoler dans la nature", explique-t-on en Valais.
La volonté de l'UE de réduire ce délai à quatre jours inquiète. A Genève, le Département de l’emploi et de la santé craint que ce changement réduise l'efficacité des contrôles et, ainsi, "la crédibilité et l'acceptation politique du principe de la libre circulation des personnes."
Même son de cloche à Fribourg où les services compétents estiment que cette réduction à 4 jours risque de réduire la visibilité des travailleurs détachés.
Solutions pour une règle à 4 jours
Mais un ajustement reste possible sous certaines conditions: "Nous aurions besoin de forces supplémentaires, cofinancées par les cantons et la Confédération. Il faudrait également des outils informatiques qui, actuellement, sont en développement et qui ne sont pas encore été à disposition des cantons", explique le chef de service de l'Emploi du canton de Fribourg Charles de Reyff.
Un avis partagé par le canton de Neuchâtel qui affirme ne pas être opposé à cette modification pour autant que les outils informatiques soient adaptés en conséquence.
Une entrave à la libre circulation?
Mais pour le conseiller d'Etat genevois en charge de l'Economie, Mauro Poggia, l'enjeu est ailleurs. "Il n’y a jamais rien d’impossible technologiquement. La question est de savoir si les huit jours sont véritablement une entrave à la libre circulation. On a l’impression que faire tomber cette condition est devenu un challenge de l’Europe vis-à-vis de la Suisse. Et la Suisse doit dire stop."
Son homologue vaudois Philippe Leuba se veut plus nuancé: "La question est surtout de savoir si les autres éléments de l’accord-cadre peuvent déboucher sur des solutions qui sont plus respectueuses de la Suisse, et s'il ne reste plus que la question des huit ou quatre jours. Dans la pesée des intérêts généraux, je ne pense pas qu’il soit raisonnable que la Suisse mette en péril l’entier de l’accord revu pour cette question-là."
"L'Union européenne n'a rien à dire"
Pour les syndicats également, l'enjeu est politique. "Le problème ne se situe pas au niveau technique. Ce que nous dénonçons, c'est l'imposition des règles européennes sur les conditions de travail en Suisse."
Il poursuit: "On l'a encore vu récemment en Autriche où la Cour européenne de justice (CJUE) a jugé illégales des mesures indigènes contre le dumping. Or, la CJUE n'a rien à dire, car le niveau de salaire plus élevé en Suisse nécessite des dispositifs de contrôle plus contraignants", réagit Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d'Unia Genève.
Mathieu Henderson
Plus de 2600 amendes
Au total, plus de 32'400 contrôles ont été effectués auprès des travailleurs détachés soumis à l'obligation d'annonce en 2017, soit 36% du total de ces ouvriers, selon les chiffres du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco). Environ 60% de ces inspections ont été menées par les commissions paritaires (lire encadré) qui ont repéré 25% de cas d’infraction aux salaires minimaux. Le solde des contrôles a été effectué par les commissions tripartites qui ont identifié 1570 cas de sous-enchères salariales.
En 2017, les autorités cantonales ont infligé 2645 amendes, dont 791 pour infractions aux conditions salariales. Par ailleurs, près de 3700 interdictions de fournir des prestations ont été prononcées contre en 2017.
Deux types d'organes de contrôle
Deux types d'organes s'occupent des inspections sur les chantiers. Lorsqu’il n’existe pas de conditions minimales dans les conventions collectives de travail (CCT) concernant les salaires ou le temps de travail, ce sont les commissions tripartites cantonales qui sont chargées des contrôles. Celles-ci comprennent des représentants de l'Etat, des associations patronales et des syndicats.
Les commissions paritaires, composées des partenaires sociaux (syndicats et patrons), surveillent le respect des dispositions de la CCT par les employeurs suisses.