C'est une décision du Tribunal fédéral qui pourrait faire date. Dans un arrêt daté du 22 janvier et rendu public lundi, les juges de Mon Repos ont estimé que le canton de Lucerne avait fixé trop bas son seuil d'accès aux subsides pour l'assurance maladie. Il n'en fallait pas plus pour que le Parti socialiste s'engouffre dans la brèche et lance un ultimatum aux huit cantons qui n'en feraient selon lui pas assez. Trois cantons romands seraient concernés: le Valais, Neuchâtel et Berne (voir encadré).
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Cette décision du Tribunal fédéral met en évidence une tendance récente: le nombre de bénéficiaires de subsides pour l'assurance maladie ne cesse de baisser depuis plusieurs années. En 2017, 26,4% des résidents suisses recevaient une aide pour payer leurs primes, selon les chiffres de l'Office fédéral de la santé publique. En 2012, ils étaient encore 29%. En valeur absolue, cela représente une baisse de près de 100'000 bénéficiaires, alors que dans le même temps la population résidante augmentait de 500'000 personnes.
Le taux de bénéficiaires fluctue énormément d'un canton à l'autre. A Lucerne, moins d'une personne sur cinq touchait des subsides en 2017. A l'opposé, près de 35% des Schaffhousois recevaient une aide. En Suisse romande, Berne (30,8%), Vaud (29,7%) et le Jura (28,9%) se situaient au-dessus de la moyenne suisse, tandis que Fribourg (25,9%), Neuchâtel (24,5%) et le Valais (20,3%) se plaçaient au-dessous. Genève, de son côté, était dans la moyenne avec 26,5% de bénéficiaires.
La Suisse romande n'échappe pas au mouvement général de baisse. De 2012 à 2017, seuls les cantons de Berne et de Vaud ont vu leur taux de bénéficiaires augmenter, tandis que cette proportion a reculé dans les autres cantons. La chute est particulièrement marquée en Valais: 28,5% de la population y touchait une subvention aux primes maladie en 2012, contre 20,3% cinq ans plus tard.
En revanche, si l'on prend en compte les montants versés au titre des réductions individuelles de primes, et non plus le taux de bénéficiaires, la tendance s'inverse. Les Suisses ont en effet reçu 4,489 milliards de subsides en 2017, contre 3,968 milliards en 2012. En Suisse romande, seul le Valais (-30 millions de francs) et dans une moindre mesure Fribourg (-1 million) n'ont pas suivi cette évolution.
Ce paradoxe apparent s'explique notamment par le poids de plus en plus important des bénéficiaires de prestations complémentaires et de l'aide sociale parmi les personnes qui touchent des subsides à l'assurance maladie, expliquent les spécialistes consultés par la RTS. Dans les cantons romands, ceux-ci représentent entre 42% (en Valais) et 78% (à Neuchâtel) des bénéficiaires.
Dans ce domaine, les autorités ne disposent en effet d'aucune latitude: à partir du moment où une personne bénéficie des prestations complémentaires ou de l'aide sociale, ses primes d'assurance maladie, de par la loi, sont prises en charge intégralement, ou presque. Ainsi, pour économiser dans ce domaine, les cantons sont tentés de frapper les subsides de la classe moyenne. Une marge de manoeuvre désormais limitée et strictement encadrée par l'arrêt du Tribunal fédéral...
Sujet web: Didier Kottelat
Sujet TV: Delphine Gianora
Les cantons visés "analysent" l'arrêt du Tribunal fédéral
Contactés par la RTS, les cantons visés par le Parti socialiste affirment tous les trois être en train d'"analyser" l'arrêt du Tribunal fédéral. "Si des adaptations s'imposent, nous envisagerons à ce moment-là ces adaptations et le rythme dans lequel elles seront déployées", précise le conseiller d'Etat neuchâtelois Jean-Nathanaël Karakash. Même son de cloche du côté du Service de la santé publique valaisan, qui envisage lui aussi des éventuelles "adaptations" du système de subventionnement cantonal.
Du côté des autres cantons, on reste également très prudent. "Vu que notre canton n’est pas nommément visé, nous n’allons en principe pas réexaminer nos réductions de primes de ces dernières années. Toutefois, après avoir pris connaissance des considérants du Tribunal fédéral, nous serons attentifs à cette question pour les années à venir", relève la Caisse cantonal de de compensation du Jura.
"A priori, l'arrêt du Tribunal fédéral n'a pas de conséquences sur le système actuellement en vigueur dans le canton de Genève", affirme pour sa part Henri Della Casa, chargé de communication à l'Etat de Genève. Ce dernier précise d'ailleurs qu'une initiative pour un plafonnement des primes maladie à 10% du revenu des ménages sera soumise au peuple genevois en novembre. Et d'ajouter que le Conseil d'Etat a présenté un contre-projet à ce texte qui, s'il était accepté, augmenterait de manière significative l'enveloppe dévolue aux réductions de primes.
L'arrêt du Tribunal fédéral en bref
Dans un arrêt publié samedi, le Tribunal fédéral a annulé les dispositions litigieuses de l'ordonnance du canton de Lucerne sur la réduction des primes pour 2017. Lucerne avait fixé une limite de revenu trop basse pour avoir droit à la subvention aux primes d'assurance maladie des enfants et les jeunes adultes en formation.
Selon la loi sur l'assurance maladie (LAMal), les cantons doivent réduire d'au moins 50% les primes des assurés issus de familles disposant de bas et moyens revenus. Pour 2017, Lucerne a fixé à 54'000 francs le revenu déterminant maximum (revenu net selon la déclaration d'impôt) pour avoir droit à une réduction de prime pour les enfants et les jeunes adultes en formation.
Cette limite ne touche qu'une petite frange des ménages alors que la réduction de primes doit aussi viser les familles à revenus moyens, a estimé le TF. Les cantons disposent certes d'une grande liberté de décision pour définir les bas et moyens revenus, mais leur autonomie est limitée par le fait que les dispositions ne doivent pas violer la loi fédérale ni porter atteinte à son but, selon Mon Repos. (ats)