Les Africains qui viennent en Suisse de manière légale le font
principalement par le biais de la demande d'asile politique ou du
regroupement familial (voir statistiques ). Certains s'y
installent avec le statut d'étudiant. D'autres se marient avec un
citoyen suisse. Des chemins existent donc, mais ils sont toujours
plus étroits. Quant à venir en Suisse comme travailleur immigré,
c'est devenu quasiment mission impossible, tant les critères
d'admission sont précis et nombreux.
"Les raisons pour émigrer en Afrique sont fortes, surtout lorsque
le pays d'origine souffre de problèmes politiques, mais également
des situations croissantes de précarité", déclare Claudio Bolzman,
professeur à la Haute école de travail social à Genève, "Mais les
venues en Suisse sont plutôt faibles. Les pays méditerranéens sont
privilégiés. D'abord parce qu'ils sont plus faciles d'accès.
Ensuite, parce que leur législation est plus souple."
Ainsi, en Italie et en Espagne, les immigrants économiques sont
plus nombreux. "Il y a beaucoup de commerçants ambulants", précise
le sociologue du Centre d'études de la diversité culturelle et de
la citoyenneté dans les domaines de la santé et du social (
CEDIC ).
Hautement qualifié et expérimenté
L'admission des ressortissants des pays tiers sur le marché
suisse de l'emploi s'est rétrécie comme peau de chagrin. Ainsi,
avec l'accord sur la libre circulation, l'employeur doit apporter
la preuve qu'il n'a pas réussi à trouver le travailleur qu'il
recherche dans le marché de l'emploi prioritaire (citoyen suisse,
de l'UE et de l'AELE, permis C, et B -sous conditions-) s'il veut
engager un Africain. En outre, leurs entrées sont limitées en
nombre (7000 permis L et 4000 permis B comme contingents en 2008).
A noter toutefois que le contingentement existait déjà avant.
Par ailleurs, avec la Loi sur les étrangers (LEtr) , seuls les travailleurs
qualifiés sont admis. Ainsi, l'Africain, comme tout autre
ressortissant d'un Etat tiers, doit être au bénéfice d'un diplôme
universitaire ou d'une HES (doit être reconnu) et disposer d'une
expérience professionnelle de plusieurs années. Les travailleurs
peu qualifiés ne sont pas admis notamment parce que la demande les
concernant a diminué.
Enfin, l'immigré doit prouver qu'il est au bénéfice d'un contrat
de travail et d'un logement. En outre, il doit aussi être capable
de s'intégrer. Une montagne de conditions, que certains Africains
parviennent malgré tout à réunir (voir les statistiques).
Les exceptions qui ouvrent des portes
Certaines exceptions
permettent à d'autres de garder espoir en matière d'immigration
économique. Ainsi, les personnes au bénéfice d'une formation
spécialisée particulière ou d'une longue expérience professionnelle
dans un domaine spécifique peuvent être admises. "C'est le cas des
joueurs de football", indique Claudio Bolzman, du CEDIC. "Les
domaines de l'informatique et de la santé sont aussi concernés. Il
arrive que par exemple des infirmières et des médecins africains
soient engagés, parfois en dessous de leurs qualifications. Et puis
bien sûr, il y a ceux employés par les organismes
internationaux."
Autres exceptions notables: les personnes des milieux de l'art, de
la culture et de la spiritualité. "Ce sont eux qui ont le plus de
chance de pouvoir venir en Suisse", estime le conseiller municipal
genevois Alpha Dramé, d'origine guinéenne. "Mais avec leur permis
de huit mois, les artistes ne restent pas. Ils n'en ont pas besoin
puisqu'ils peuvent redemander un permis quand ils veulent."
Jonas Montani, de l'Office des migrations (ODM), parle lui de "l'exception
marocaine". "Il existe une longue tradition chez les cirques en
Suisse, qui engagent des Marocains comme monteurs ou gardiens. Pour
cela, on fait fi de la loi sur la libre circulation."
Enfin, l'Africain qui suit ses études en Suisse peut y rester
après son cursus universitaire. Mais à condition que la main
d'oeuvre soit insuffisante. Autant dire: les chances sont maigres.
Mais un diplôme helvétique est un bon sésame. Nombre d'Africains
partent donc travailler en d'autres terres occidentales après leurs
études. A condition, évidemment, d'avoir pu suivre des études en
Suisse...
(lire ci-contre).
Le regroupement familial
"Cela aussi, c'est très compliqué", estime l'élu genevois Alpha
Dramé. "Il faut justifier que le regroupement familial se fera pour
le bien-être de votre enfant. Ce n'est pas évident quand vous
habitez en Suisse depuis 10 ans. Et encore moins, si l'un des deux
parents est toujours au pays. Et puis, il faut prouver qu'il s'agit
bien de son enfant...". Malgré la montagne à gravir, c'est le moyen
le plus recouru par les Africains pour venir en Suisse (voir
statistiques), après la demande d'asile.
Autre possibilité : le mariage
avec un Suisse. Mais là aussi, ça se corse. "Il faudra dorénavant
un permis de séjour", rappelle le politologue, en référence à une
modification du code civile approuvée par le Conseil national début
mars.
Alors que l'étau se resserre autour des possibilités économiques,
scolaires ou familiales, les requêtes d'asile sont en hausse. Jonas
Montani de l'ODM le reconnait
(lire ci-contre)
.
Selon lui, néanmoins, "elles ne peuvent pas s'expliquer par des
changements dans la réglementation concernant l'accès au marché du
travail".
Malgré les risques et malgré la complexification des procédures,
les Africains vont continuer d'immigrer en Suisse. Tous les
spécialistes se l'accordent. "C'est la réalité qui le montre.
L'homme a toujours migré, il y aura toujours des migrants et parmi
eux, il y en aura toujours qui arrive à passer à travers les
mailles. En Afrique, l'émigration est le fruit du colonialisme et
du capitalisme. Elle ne s'arrêtera pas", conclut Alpha Dramé. Berne
essaie néanmoins de la freiner, en réalisant des projets en Afrique. Caroline Briner
L'asile, une voie très prisée
Les demandes d'asile déposées par des requérants africains sont en hausse depuis plusieurs années. Deux raisons majeures l'expliquent. D'une part parce que les autres possibilités de séjour en Suisse se sont réduites (42% de moins de ressortissants d'Etat tiers en 2006 par rapport à 2002).
D'autre part, les routes migratoires ont changé. En effet, suite à la volonté des autorités espagnoles de mieux contrôler la migration dans leurs eaux territoriales, davantage d'Africains transitent par la Libye pour se rendre en Italie, indique Jonas Montani de l'ODM. Pour un certain nombre d'Africains, la Suisse est donc devenue plus proche qu'auparavant.
Ainsi, même si le chemin est épineux, il est le plus fréquemment emprunté. Certains s'annoncent comme requérant "même si aucun préjudice ne se présente contre eux", déclare Alpha Dramé, qui nomme ces migrants des "réfugiés économiques".
Pour être considéré comme un réfugié, le demandeur d'asile doit être exposé au risque d'avoir sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté mises en danger, ou alors de subir une pression psychique insupportable. Tout cela en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son groupe social ou de ses opinions politiques. Reste à le prouver...
Si les Africains sont nombreux à demander l'asile (plusieurs milliers par an), ils sont aussi nombreux à être refoulés (aussi plusieurs milliers). Pourquoi tant de demandes alors?
Si le requérant d'asile (permis N) est reconnu comme réfugié, il obtient un permis B (droit de séjour), voire après un certain temps et sous certaines conditions un permis C (droit d'établissement). Par ailleurs, certains requérants non reconnus ne peuvent être refoulés pour des raisons juridiques ou techniques. Ils reçoivent alors un permis F, renouvelable chaque année. Une petite porte que nombre d'Africains tentent de franchir.
Autre possibilité de recours : le cas de rigueur. Si l'immigré peut prouver qu'il vit en Suisse depuis au moins cinq ans, il peut déposer une demande pour obtenir un permis B. Et ce, quelle que soit sa situation antérieure: requérant d'asile (N), personne déboutée au bénéfice d'une admission provisoire (F) ou... migrant illégal (personne entrée en contournant la frontière ou restée dans le pays malgré un permis ou un visa échu). Entre 50'000 et 300'000 personnes, toutes nationalités confondues, vivent dans la clandestinité en Suisse, et ce malgré tous les désavantages que cela comporte.
Le visa-étudiant, un sésame bientôt intouchable?
Un Africain a-t-il des chances de pouvoir étudier en Suisse? "C'est devenu très compliqué", assure Alpha Dramé, Guinéen venu en Suisse en 1992 avec le statut d'étudiant et aujourd'hui membre du Conseil municipal de la Ville de Genève.
"Le visa d'étudiant est refusé, particulièrement pour les personnes originaires d'Afrique noire francophone. Même si le demandeur répond à tous les critères, le visa lui est refusé. On ne sait pas pourquoi", précise celui qui est également président de la Fédération Kultura, qui chapeaute une soixantaine d'associations genevoises pour les migrants. "En tant que municipal, je peux bien porter le cas à Berne, mais ça ne change rien", ajoute-t-il.
Selon l'élu genevois, l'étau s'est resserré dans les années 1990, depuis que les trafics de drogue ne sont plus imputés seulement aux ressortissants d'Amérique latine, mais également à ceux d'Afrique noire.
Pour Claudio Bolzman, les visas étudiants sont toujours plus difficiles à obtenir car les soupçons que la personne reste dans le pays l'emportent.
Jonas Montani de l'ODM admet que le pays d'origine du demandeur peut être un critère pour l'octroi d'un visa.