Politologue et conseiller national (PS/ZH), Andreas Gross, qui
est aussi membre du "Groupe 13" (lire encadré),
s'oppose à l'élection d'un UDC de l'aile blochérienne. Il estime
qu'Ueli Maurer n'a pas sa place au Conseil fédéral. Pour lui, la
formule magique ne se résume pas à une répartition des sièges au
gouvernement en fonction des résultats aux élections fédérales. A
son sens, la concordance politique prime. Interview.
tsr.ch: Pourquoi vous opposez-vous à l'élection d'Ueli
Maurer au Conseil fédéral le 10 décembre?
Andreas Gross: Personnellement, je
suis convaincu qu'il ne respecte pas ceux qui pensent autrement que
lui. Il les dénigre. Il agit comme Monsieur Blocher. Entre les
deux, il y a des différences de caractère, de milieu, d'histoire,
mais pas en ce qui concerne la politique. On a dit non à
l'original, alors il faut résister à la copie.
Mais refuser un UDC au Conseil fédéral, n'est-ce pas
désavouer les 30% d'électeurs qui votent pour l'UDC?
Non, parce qu'il y a aussi d'autres gens dans l'UDC qui ont une
autre conception politique que celle de Monsieur Blocher. Pour ma
part, je suis prêt à élire un UDC, mais pas quelqu'un qui a fait
preuve d'un tel manque de respect envers ceux qui ne partagent pas
son opinion.
La concordance, ce
n'est pas un jeu. C'est une attitude. C'est un concept. C'est une
culture.
Andreas
Gross
C'est donc une question de personne, pas de
politique?
Non, c'est une question de politique. Parce qu'à l'UDC, il y a
différents concepts politiques. Il y a l'aile blochérienne à
laquelle Ueli Maurer a contribué pendant 20 ans. Et il y a d'autres
courants qui sont respectueux envers les autres.
Est-ce pour cette raison que vous estimez qu'Ueli Maurer ne
peut pas jouer le jeu de la concordance, parce que c'est un "clone"
de Blocher?
La concordance, ce n'est pas un jeu. C'est une attitude. C'est
un concept. C'est une culture. Et c'est exactement ce qui manque
aux deux.
Pourtant, il y a des politiciens comme Christiane Brunner
ou Christophe Darbellay qui affirment que l'on peut discuter avec
Ueli Maurer, qui disent qu'il peut être collégial.
Oui, si je devais trouver un baby-sitter, c'est quelqu'un à qui
je pourrais confier mes enfants pour les garder, s'ils sont encore
jeunes, entre 2 et 10 ans. Dans ce contexte, je n'ai rien contre
Monsieur Maurer. Mais j'ai observé sa façon de faire de la
politique depuis 30 ans, et je ne lui confierais jamais l'éducation
politique de mes enfants. Il faut distinguer le caractère personnel
du caractère politique. Il y a une différence entre jouer au jass
avec quelqu'un et lui confier le pays.
Pour en revenir au 10 décembre, que pensez-vous du scénario
selon lequel Ueli Maurer pourrait se retirer en cours d'élection au
profit de Christoph Blocher?
Non, ce ne sera jamais le cas. On
va agir en sorte que ce problème ne se produise pas.
Alors quels sont vos projets? Une alternative en
préparation?
Oui, il y a beaucoup de projets. Mais la réussite de ces projets
tient dans leur secret, dans le fait qu'on ne les révèle pas avant
l'élection. Pour protéger les papables auxquels on pense. Pour
éviter que l'UDC blochérienne puisse exercer une pression sur eux.
Pour qu'ils ne "craquent" pas d'ici là.
Pour conclure, le 10 décembre, quel serait le scénario
idéal à votre sens?
Le scénario idéal est que la personne qui sera élue soit
quelqu'un qui corresponde aux exigences de la concordance,
quelqu'un qui respecte l'opinion des autres, et enfin quelqu'un qui
oeuvre à l'intégration du pays et non à la division de la
Suisse.
Propos recueillis par Nathalie Hof
Ce qu'implique le ticket de l'UDC
Pris dans la tourmente de plusieurs affaires, dont le dossier Roland Nef, Samuel Schmid, ex-UDC, a choisi, en novembre, de quitter le Conseil fédéral après avoir connu un souci de santé, ouvrant la voie au retour de l'UDC au gouvernement.
L'UDC était entrée dans l'opposition l'année dernière après l'éviction de son leader charismatique mais néanmoins controversé Christoph Blocher. Le tribun zurichois n'avait pas été réélu le 12 décembre 2007, un groupe de parlementaires s'étant ligué pour faire élire Eveline Widmer-Schlumpf, désormais ex-UDC elle aussi, à sa place.
Aujourd'hui, l'ensemble de la classe politique s'accorde pour dire que le voeu de l'UDC de revenir au Conseil fédéral est légitime. Mais, Christoph Blocher ayant peu de chances d'être réélu, Ueli Maurer est devenu la seule option possible le 10 décembre. Or certains lui reprochent de n'être que le "clone" de Christoph Blocher et de ne pas être capable de respecter la sacro-sainte concordance.
Et l'UDC a, après le 12 décembre 2007, modifié ses statuts. Tout membre qui serait élu et accepterait son élection alors qu'il n'est pas le candidat officiel du parti serait exclu de facto du parti. Ce que certains considèrent comme du chantage.
Reste à savoir si un nouveau "coup" - similaire à celui ayant conduit à l'élection d'Eveline Widmer-Schlumpf et à l'éviction de Christoph Blocher l'an passé - se dessine. Réponse le 10 décembre sous la Coupole.
Le "Groupe 13"
Le "Groupe 13", dont l'existence a été révélée la semaine dernière par la presse alémanique, doit sa genèse à la non-réélection, le 12 décembre 2007, de Christoph Blocher. Ses membres réfléchissent ensemble à la question de la concordance politique et non arithmétique.
Emmené par Andreas Gross, qui a publié un ouvrage expliquant en quoi il estime que le tribun zurichois n'a pas sa place au Conseil fédéral avant même son éviction l'an dernier, le groupe comprend des parlementaires issus des Verts, du PS et du PDC, dont notamment Jacques Neirynck.
Durant la semaine précédant le 10 décembre, le "Groupe 13" est monté aux barricades pour montrer son opposition à l'élection d'Ueli Maurer au Conseil fédéral, une idée qui séduit pourtant quelques uns. Ses membres estiment qu'Ueli Maurer ne saura pas être collégial s'il est élu.
Dans ce groupe informel, on retrouve aussi le président des Verts Ueli Leuenberger (GE), le Vert Antonio Hodgers (GE), le socialiste Roger Nordmann (VD), la présidente du Conseil national Chiara Simoneschi (PDC/TI), ainsi que les conseillers aux Etats Christine Egerszegi (PRD/AG) et Dick Marty (PRD/TI).