Ankara avait jusqu'à la mi-décembre pour remplir plus de 150
conditions dans les domaines de la protection de l'environnement,
des biens culturels et de la population fixées par les agences de
garantie à l'exportation des trois pays pour ce barrage situé dans
le sud-est du pays.
La décision des trois agences de garanties à l'exportation a été
communiquée mardi «par écrit au maître d'oeuvre de l'ouvrage turc»,
écrit mardi l'Assurance suisse contre les risques à l'exportation
(SERV).
Des progrès ont été réalisés ces dernières semaines dans le
domaine de la planification, mais ils ne suffisent pas pour
autoriser les travaux de construction, selon la SERV. Les
informations récentes concernant des expropriations non conformes
aux conventions, effectuées le long des routes dans la région du
projet, sont actuellement examinées.
Six mois de délai
Durant les six mois de délai accordés à Ankara, un comité
d'experts indépendant et les assurances de crédit à l'exportation
des trois pays continueront à surveiller le suivi du projet, «avec
pour objectif le respect des normes de la Banque mondiale»,
poursuit la SERV.
C'est en mars 2007 que le Conseil fédéral avait admis la garantie
des risques pour ce projet. Quatre sociétés suisses ou présentes en
Suisse sont engagées dans la réalisation du barrage: Alstom,
Stucky, Colenco et Maggia. Pour ces firmes, la centrale
hydroélectrique d'Ilisu, sur le cours inférieur du Tigre,
représente un marché de quelque 225 millions de francs.
Travaux poursuivis
C'est «complètement inacceptable» que les travaux aient été
poursuivis durant les deux mois supplémentaires que Berlin avait
accordés à Ankara pour obtenir des réponses satisfaisantes, avait
affirmé lundi le porte-parole du ministère allemand d'aide au
développement. Il en va de même pour les expropriations, selon
lui.
Dans un entretien au journal «Frankfurter Rundschau», un
responsable du ministère, le secrétaire d'Etat Erich Stather, a
estimé que le projet n'avait «désormais aucune chance d'être
réalisé avec l'aide de l'Allemagne». «On se fiche de nous», a-t-il
déclaré.
Décision saluée....
La Déclaration de Berne (DB) ainsi que
la Société pour les peuples menacés a salué mardi la suspension par
la Suisse, l'Autriche et l'Allemagne. Cette décision sonne le glas
du projet, a affirmé la DB à l'ATS. Les deux ONG qualifient ce pas
de «sans précédent», «nécessaire» et «courageux».
Selon le communiqué, le maître d'oeuvre turc ne pourra désormais
plus compter sur quelque 500 millions d'euros de financement. Cette
somme ne sera pas facile à remplacer en cette période de crise
financière. Les deux ONG soulignent que la décision annule les
crédits promis par plusieurs banques européennes.
Et vivement critiquée...
La décision des agences de risques à l'exportation est
«exagérée» et est un mauvais signal à la Turquie. Le consortium des
entreprises suisses et autrichiennes impliquées est confiant et
estime que le projet sera tout de même réalisé, a expliqué Wolfgang
Leitner, patron du fabricant autrichien de turbines Andritz.
Pour lui, un échec serait «extraordinairement regrettable au vu
des mesures déjà prises et de la bonne volonté de toutes les
parties concernées», même s'il n'en résulterait pas de désavantages
financiers «substantiels» pour Andritz. Le comité d'experts
indépendant a lui aussi loué les progrès en matière de protection
de l'environnement, de transfert de population et de biens
culturels.
Les autorités turques ont assuré qu'une annulation des garanties à
l'exportation ne freinerait pas le projet.
ats/bri
Projet controversé
Le barrage d'Ilisu doit être construit sur le cours du Tigre dans le sud-est anatolien. Haut de 135 mètres et long de 1820 mètres, le barrage d'Ilisu devrait disposer d'une capacité de 10'400 milliards de mètres cubes. Il devrait produire 1200 mégawatts (MW), soit 3% des besoins énergétiques de la Turquie.
Le barrage est devisé à 1,5 milliard de francs. Il s'insère dans le cadre du Projet d'Anatolie du Sud-Est (GAP), qui prévoit l'irrigation de 1,7 million d'hectares de terres arides à partir de 22 barrages principaux sur le Tigre et l'Euphrate. Le GAP devrait permettre la création de 3,8 millions d'emplois et générer quelques centaines de millions de francs.
Revers de la médaille, plus de 50'000 habitants devraient être déplacés par l'inondation de dizaines de localités. Ankara assure que tout a été mis en place conformément aux lignes directrices édictées par la Banque mondiale.
De même, le futur lac d'Ilisu provoquera l'ensevelissement du site assyrien de Hasankeyf. Le gouvernement turc prévoit de reconstruire les principaux monuments de cette cité et de bâtir un parc archéologique et un musée.
Les opposants au projet jugent toutefois ces efforts insuffisants. La stratégie d'Ankara ne donne aucune perspective d'avenir aux déplacés, critique la Déclaration de Berne (DB).
En matière culturelle, les mesures de sauvegarde, notamment pour le site de Hasankeyf, sont jugées techniquement et financièrement irréalistes. Par rapport à l'environnement, la DB accuse notamment Ankara de ne pas avoir pris en compte les zones de protection des oiseaux existant actuellement sur le Tigre.