Pour les entreprises Alstom, Colenco, Maggia et Stucky, la
centrale hydroélectrique d'Ilisu, située sur le cours inférieur du
Tigre, représente un marché de quelque 225 millions de francs. Aux
yeux du gouvernement, les effets positifs de leurs prestations et
du projet pour l'économie helvétique et le développement économique
de la Turquie ont été décisifs.
Avant qu'il ne donne son feu vert définitif, le Conseil fédéral
souhaitait toutefois qu'une série de plus de 150 conditions soient
remplies par le maître d'ouvrage turc DSI. L'octroi de l'assurance
était subordonné à la mise en oeuvre de plusieurs mesures
d'accompagnement afin que le chantier soit compatible aux standards
de la Banque mondiale.
Série de mesures compensatoires
Parmi celles-ci figurent la construction de stations d'épuration
des eaux dans les villes de Diyarbakir, Siirt et Batman, situées en
amont du barrage, et la mise en place de techniques d'irrigation et
de fertilisation améliorant la qualité des eaux du lac de retenue
et du Tigre. Un niveau d'eau minimum doit être garanti dans le
fleuve afin de protéger la faune, la flore et les riverains, en
Turquie comme dans les pays voisins (Syrie et Irak).
De nouveaux espaces protégés doivent être créés pour les animaux
concernés. Des programmes sanitaires de prévention du sida et de la
malaria sont également réclamés. Concernant les personnes
déplacées, il conviendra d'améliorer leurs conditions de vie ainsi
que les infrastructures dans toute la région.
Des milliers de personnes déplacées
Le chantier d'Ilisu provoquera le déplacement de plusieurs de
milliers de personnes et l'ensevelissement d'un site historique, la
petite ville de Hasankeyf, cité prospère de l'ancienne Mésopotamie.
Le projet est très contesté. L'UBS et des entreprises
internationales de construction se sont retirées du projet il y a
plus de quatre ans, en raison de ses coûts écologiques et
sociaux.
Les organisations non gouvernementales opposées au barrage
craignent aussi la disparition non seulement d'un site historique
unique, où se côtoient des monuments assyriens, romains et
ottomans, mais aussi d'un style de vie traditionnel, préservé
jusqu'ici par sa population, kurde et arabe. Au contraire, les
partisans du barrage estiment qu'il apportera à cette région pauvre
les moyens de développer son économie. Selon eux, il permettra la
création de milliers d'emplois, le développement d'une activité de
pêche et l'irrigation des terres agricoles.
ats/jab
Vives critiques à gauche
La Déclaration de Berne a vivement critiqué la décision du Conseil fédéral. Selon elle, Ankara n'a jusqu'ici appliqué aucun des standards internationaux.
Pour la DB, le Conseil fédéral s'est incliné face à la pression exercée par la Turquie et devant les intérêts particuliers des exportateurs suisses.
Au total, près de 50'000 personnes vont perdre leur foyer et leur patrimoine culturel, et faire face à un avenir incertain, poursuit-elle dans un communiqué diffusé mercredi.
La DB se dit aussi «profondément déçue» que la Suisse n'applique pas les standards qui prévalent chez elle et pour lesquels elle s'engage officiellement sur le plan international.
En fait partie notamment la consultation des populations concernées dans la planification de barrages. Dans le cas d'Ilisu, «toutes les décisions se sont prises derrière des portes closes», affirme l'ONG.
Quant au catalogue de mesures convenu fin décembre avec Ankara pour l'amélioration du projet, il est toujours tenu secret. A première vue, aucune des plus de cent conditions posées n'a encore été réalisée sur place.
En particulier, le terrain manque pour reloger la population, les conditions pour lui assurer un revenu, ainsi que les mesures écologiques. Selon des sondages, 80 % de la population est opposée au projet.