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Fanny Chollet, première femme aux commandes d'un F/A-18 de l'armée suisse

Peu de femmes occupent des postes-clé dans l'armée suisse. Rencontre avec la première pilote de chasse.
Peu de femmes occupent des postes-clé dans l'armée suisse. Rencontre avec la première pilote de chasse. / 19h30 / 2 min. / le 19 février 2019
La Vaudoise Fanny Chollet est devenue la première femme du pays à devenir pilote d'un F/A-18. Pour marquer le coup, l'armée a convoqué la presse mardi à Payerne. Cette première souligne surtout le retard de la Suisse en matière de promotion des carrières militaires féminines.

Elle s'appelle Fanny Chollet mais dans les airs, elle est surnommée "Shotty". Après cinq ans d'instruction, cette Vaudoise de 27 ans, originaire de Saint-Légier, a obtenu son brevet de pilote fin 2017. Il lui a encore fallu une année de formation pour devenir la première femme pilote d'un F/A-18 en Suisse.

Pour la principale intéressée, le fait qu'elle soit une femme ne change pas grand-chose. La voie pour former des femmes pilotes de chasse s'est ouverte en 2004 et "ce n'était qu'une question de temps avant qu'il y en ait une", relativise-t-elle. "Je ne pense pas que je vais créer des vocations. Il y en a déjà", ajoute le premier lieutenant Chollet.

"C'est un jour de fierté. Il est important d'avoir des femmes dans ce milieu plutôt masculin", affirme pour sa part le divisionnaire Bernhard Müller, commandant des Forces aériennes. Pour lui, Fanny Chollet peut devenir un "exemple pour montrer que c'est une chance de participer à cette instruction".

Où sont les femmes?

Il aura donc fallu attendre 2019 pour voir une Suissesse prendre officiellement les commandes d'un avion de combat, alors que la plupart des pays occidentaux possèdent des pilotes de chasse depuis plusieurs décennies, rapporte le site Watson: depuis les années 2000 en Allemagne, les années 1990 en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les années 1980 au Canada, et même les années 1930 en Turquie.

Il faut dire que la gent féminine reste quasi absente de l'armée suisse. Malgré une augmentation significative de la part des femmes ces dernières années, celles-ci représentent toujours moins de 1% des effectifs réels globaux (0,74% en 2018). A titre de comparaison, la Bundeswehr allemande compte 12% de soldates et ce taux grimpe à plus de 15% en France et aux Etats-Unis.

Depuis l'entrée en vigueur de la réforme Armée 95 il y a près de 25 ans, l'armée suisse accorde aux hommes et aux femmes les mêmes droits en matière de formation et de prise de responsabilités. En matière d'évolution de carrière, cette politique porte ses fruits. A mesure que l'on gravit les échelons dans la hiérarchie militaire, la part des femmes augmente, de 0,44% chez les soldats à 1,79% chez les officiers.

Mais il y a encore du chemin à faire. A partir d'un certain niveau, les femmes semblent se heurter à un plafond de verre. Une seule d'entre elles figure parmi les officiers généraux, les plus hauts grades de l'armée: il s'agit du brigadier Germaine J. F. Seewer. Les trois commandants de corps, les 18 divisionnaires et les 31 autres brigadiers sont tous masculins.

Solution #1: la motion Estermann

Afin d'encourager l'engagement des femmes, la conseillère nationale Yvette Estermann (UDC/LU) a déposé en décembre 2018 une motion visant à rendre la séance d'information de l'armée obligatoire pour tous, et non seulement pour les hommes. Cette requête est soutenue par la Société suisse des officiers (SSO), qui demande dans sa lettre d'information publiée début janvier de "prendre au sérieux la promotion des femmes au sein de l'armée".

"On doit vraiment attirer davantage de femmes et, à ce titre, cette journée d'orientation a une valeur inestimable", affirme Stefan Holenstein, président de la SSO. Pour lui, grâce à cette mesure, il serait "réaliste" de compter 3000 femmes dans l'armée d'ici la fin 2022, soit un triplement des effectifs féminins. Son objectif à moyen terme est d'atteindre la barre des 5000 soldates

Solution #2: le "modèle norvégien"

Une autre solution envisagée est l'extension de l'obligation de servir aux femmes. L'armée et la protection civile sélectionnent les individus dont elles ont besoin, les autres personnes s'acquittent de la taxe d'exemption. Ce modèle norvégien, présenté il y a trois ans dans un rapport (pdf), a été qualifié de "novateur" par le Conseil fédéral. Ce dernier a chargé le Département de la défense (DDPS) de réaliser d'ici fin 2020 une analyse des effectifs de l'armée.

>> Lire aussi : Les femmes enrôlées dans l'armée, idée "novatrice" pour le Conseil fédéral

Stefan Holenstein se dit favorable à ce modèle, mais tempère son enthousiasme. "Il s'agirait d'un très grand changement car il faudrait modifier la Constitution", relève le colonel, jugeant le projet "pas réaliste pour le moment". "Il faut avancer pas à pas", ajoute-t-il, privilégiant dans un premier temps la généralisation de la journée d'information de l'armée aux deux sexes.

>> Le schéma explicatif du "modèle norvégien" :
Schéma explicatif du "modèle norvégien" présenté dans le "Rapport du groupe de travail consacré au système de l’obligation de servir" du 15 mars 2016. [www.admin.ch]
Schéma explicatif du "modèle norvégien" présenté dans le "Rapport du groupe de travail consacré au système de l’obligation de servir" du 15 mars 2016. [www.admin.ch]

Un effet Viola Amherd?

Depuis le 1er janvier 2019, et pour la première fois depuis 1848, une femme est à la tête du Département de la défense. Viola Amherd va-t-elle avoir un effet sur la féminisation de l'armée? "Ca peut jouer, mais il ne faut pas avoir trop d'attentes", note Stefan Holenstein. Cela va surtout permettre de sensibiliser à l'importance des femmes pour l'armée, estime-t-il. La priorité reste pour lui la mise en place de mesures concrètes de promotion.

Pour Viola Amherd, la tâche est colossale, le déséquilibre hommes-femmes n'étant pas cantonné aux effectifs militaires. On retrouve en effet cette disproportion dans le personnel employé par le Département de la défense et par l'armée. Avec à peine 17% des postes attribués à des femmes (13,1% en 2009), le DDPS reste une forteresse masculine au sein d'une administration fédérale qui comptait en 2017 plus de 43% de femmes. La situation est encore plus nette dans l'armée, avec un taux de 10,6% de personnel féminin (8,6% en 2009).

Didier Kottelat et Loïs Siggen Lopez

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