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Kadhafi: le rapport qui égratigne Genève

Le soulagement de mise après la relaxe des 2 Suisses à Tripoli.
L'arrestation d'Hannibal Kadhafi continue de faire des vagues.
Intervention peu appropriée avec des moyens excessifs, menottage humiliant, appels à agir avec tact négligés: le rapport du membre suisse de la commission chargée d'enquêter sur l'affaire Kadhafi épingle la police et la justice genevoises.

Daté du 14 décembre, ce rapport accablant pour les autorités
genevoises a été écrit par le professeur Lucius Caflisch,
coprésident de la commission indépendante ad hoc chargée de faire
la lumière sur l'arrestation du fils du président libyen et de son
épouse en juillet à Genève.

C'est sur la base de ce document de sept pages que le
Département fédéral des Affaires étrangères a pour la première fois
admis le week-end dernier que l'intervention aurait pu revêtir des
formes plus "nuancées".

Multiples erreurs

Le rapport conclut toutefois qu'aucun acte illégal ne peut être
imputé aux forces de l'ordre genevoises. Mais il égratigne durement
la police et la justice sur plusieurs points. Ainsi, eu égard à la
position des personnes concernées, le DFAE avait recommandé aux
autorités cantonales d'agir avec précaution et ménagement. "A de
nombreux égards, il n'a pas été tenu compte de cet avis", écrit le
spécialiste du droit international.



Au lieu d'émettre un mandat d'amener et d'arrêter le couple
Kadhafi, le commissaire de police aurait pu se contenter d'un
mandat de comparution leur ordonnant de se rendre au poste. Même si
le mandat émis par la police ne contrevenait pas au droit suisse,
"une forme de mandat plus légère aurait pu être plus appropriée,
considérant le statut spécial de M. et Mme Kadhafi".



La police a planifié son intervention, mais l'expert suisse
s'interroge sur son degré de préparation: "il a été dit que la
police était informée, ou aurait dû l'être, de la présence de
l'enfant (ndlr: l'enfant de 3 ans du couple). Le fait est qu'elle
ne l'était pas". Une certaine confusion a régné au moment de
confier cet enfant à un tiers. Une connaissance du couple l'a
finalement pris en charge.

Menottage humiliant

Quant au déploiement de 20 policiers pour arrêter deux
personnes, "avec le recul, il peut être considéré comme inutile et
excessif, étant donné que le couple n'a pas opposé de résistance".
Le professeur relève cependant qu'une délégation de policiers a
vainement cherché pendant une heure et demie à entrer en contact
avec les Kadhafi avant de se résoudre à déclencher
l'intervention.



Concernant le menottage d'Hannibal Kadhafi, alors que celui-ci n'a
pas résisté activement, Lucius Caflisch le considère comme
"inutile, inapproprié et surtout humiliant". Le fait de ne pas
avoir laissé les Kadhafi entrer en contact avec leur consulat tout
de suite après leur arrestation ne contrevient pas à la Convention
de Vienne mais il est décrit comme "discourtois".



Un dernier reproche concerne des faits antérieurs au 15 juillet,
jour de l'interpellation. Le 13, soit un jour après le dépôt d'une
plainte par les deux domestiques contre le couple, les Kadhafi ont
signalé le vol de 2000 euros et d'une montre déposés dans le coffre
de la chambre d'Aline Kadhafi. "La police a négligé d'instruire
cette affaire avec la vigueur requise par la loi."

Des bémols

Le professeur rejette toutefois plusieurs reproches formulés par
la Libye. Le transport d'Hannibal Kadhafi à bord d'un véhicule
blindé ne visait pas à le faire passer pour dangereux ou à
l'humilier. "Cela dénotait plutôt l'intention de le traiter comme
un VIP." Il n'a à aucun moment été gardé en détention préventive
sans mandat en bonne et due forme.



Dans ses conclusions, l'expert suisse souligne que l'arrestation
et la détention du couple n'ont pas violé le droit suisse et
international, excepté concernant la plainte pour vol qui aurait dû
être instruite.



Mais toute l'histoire est "hautement regrettable", étant donné que
le DFAE avait appelé à la retenue. "A certains égards, les deux
personnes en question n'ont pas été traitées avec la courtoisie de
mise et l'ont même été de manière inutilement humiliante", conclut
le rapport.



ats/boi

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Retour sur les événements

Le fils du numéro un libyen Mouammar Kadhafi et son épouse ont été arrêtés le 15 juillet à Genève suite à une plainte de leurs domestiques pour maltraitance.

La plainte a été retirée en septembre contre un dédommagement financier, mais cela n'a pas permis de détendre la situation au plan diplomatique.

La Libye a engagé une politique de représailles envers la Suisse. Depuis la mi-décembre, elle a encore durci le ton.

Tripoli menace de durcir ses sanctions si la Suisse ne reconnaît pas les résultats du rapport de la commission d'enquête.

Tripoli exige aussi que les responsables de l'arrestation soient sanctionnés.

Les entreprises helvétiques en Libye ne peuvent pas exercer leurs activités librement. Et deux ressortissants suisses ne sont toujours pas autorisés à quitter le pays, même s'ils sont libres de leurs mouvements sur place.

Par ailleurs, le frère d'un des deux domestiques, un Marocain arrêté le 27 juillet en Libye, a disparu depuis. L'homme a été tué par le régime libyen, selon leur ancien avocat François Membrez.