Les hommes représentent 2 à 3% du personnel employé dans les
crèches, selon une estimation de l'Association suisse des
structures d'accueil de l'enfance (ASSAE). «C'est une catastrophe»,
résume Paul Gemperle, directeur de masculinités.ch, une association
qui demande notamment plus de modèles masculins pour les petits
enfants.
Vision faussée
Comme les places de crèche ont été créées avant tout pour
permettre aux femmes de travailler, les gens ont instinctivement
intégré que le personnel éducatif devait se substituer à la mère et
donc être féminin. Changer cette vision faussée des choses prend du
temps, constate Paul Gemperle.
Les professionnels de la petite enfance sont pourtant unanimes à
souligner les avantages d'un encadrement mixte des enfants. «Hommes
et femmes ont des choses différentes à apporter. Ils sont
complémentaires», explique Anne-Marie Munch, directrice de l'Ecole
d'éducatrices et éducateurs du jeune enfant à Genève.
Bénéfique pour tout le monde
Masculiniser la profession est
bénéfique en premier lieu pour les petits garçons, qui peuvent
développer leur identité sexuelle en contact avec des modèles
masculins, mais aussi pour les filles.
«Il s'agit de montrer des hommes au quotidien, leur diversité»,
explique Hansjürg Sieber, l'un des responsables du Réseau de
travail scolaire avec les garçons (RTSG) qui mène des projets en ce
sens en Suisse alémanique. «Sinon, les garçons peuvent croire qu'il
n'y a qu'une façon d'être un homme».
Parents gagnants
Les parents aussi y gagnent. En augmentant la part d'éducateurs
dans les crèches, on montre aux pères qu'ils sont aussi capables de
s'occuper des soins, de la garde et de l'éducation de leurs
enfants. La répartition des tâches à la maison ne pourra alors
qu'être plus égalitaire, analysent Anne-Marie Munch et Guido Schär,
responsable du projet «hommes et garde d'enfants» à l'ASSAE.
Conduit entre 2005 et 2007 outre-Sarine, le projet visait à
attirer les hommes dans la profession, mais aussi à lever les
réticences dans les crèches et chez les parents grâce à une vaste
campagne d'information, explique Guido Schär. Faute de moyens, rien
de semblable n'existe en Suisse romande. Seules les écoles
d'éducateurs semblent faire le travail de sensibilisation pour
attirer les jeunes gens.
Peu payé, peu reconnu
La raison pour laquelle il y a aussi peu d'hommes intéressés par
la garde des enfants est «bêtement une question de salaire et de
reconnaissance», remarque Jean-Pierre Tritten, adjoint de direction
à l'Ecole Pierre-Coullery à La Chaux-de-Fonds (NE). Il s'agit de
travailler là-dessus.
Entré en vigueur le 1er janvier 2008, le nouveau plan cadre
d'études a permis de revaloriser le métier d'éducateur et
éducatrice de l'enfance, mais il n'a pas encore déployé ses pleins
effets.
Une réévaluation des salaires est aussi en cours, précise-t-il.
Selon une étude argovienne, le revenu d'un éducateur avec formation
avoisine aujourd'hui les 4900 francs les premières années.
ats/cht
Résistance des parents
Les jeunes gens qui se destinent à ce métier doivent de plus faire face à la résistance de certains parents, affirment Guido Schär, Hansjürg Sieber et Anne-Marie Munch qui se basent sur des témoignages de stagiaires masculins.
Dès qu'un homme s'intéresse aux bébés, il devient suspect, remarquent-ils. Il y a plein de petites choses qui font que les étudiants sentent un regard différent peser sur eux. Cela peut être des parents qui tardent à quitter la crèche quand c'est un homme qui s'occupe des enfants, ou une légère hésitation avant de confier son bébé aux bras d'un éducateur, illustre Anne-Marie Munch.
Seul Hansjürg Sieber ose évoquer une réelle peur des parents face aux abus sexuels. Mais heureusement, la majorité des pères et mères plébiscitent un encadrement mixte, souligne Guido Schär.
Un rapide sondage dans une crèche bernoise montre que les femmes voient davantage les bienfaits d'une présence masculine dans la structure que les hommes. «J'ai un peu peur de la concurrence», avoue simplement un jeune papa.
Même constat à l'école primaire
Le constat fait pour les crèches vaut aussi pour les écoles primaires. Au final, l'encadrement des enfants de 0 à 10 ans est en mains presque exclusivement féminines.
Selon des chiffres de 2004 de l'Association faîtière des enseignants suisses (ECH), le corps enseignant est composé à deux tiers de femmes au niveau primaire. L'ECH et les associations masculines, à l'instar de masculinités.ch ou du Réseau de travail scolaire avec les garçons, réclament depuis plusieurs années une meilleure représentation masculine.