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Consommation limitée d'alcool en EMS: protection ou persécution?

Droits et pratiques de l’alcool en EMS. [Depositphotos - chrissi]
Consommation limitée d’alcool en EMS: protection ou persécution? / On en parle / 16 min. / le 25 février 2019
Selon l'enquête de la RTS, les EMS de Suisse romande autorisent l’alcool au sein de leur établissement, mais souvent avec certaines limites: alcool fort non proposé, consommation au souper interdite, quantités maximales imposées... La question des droits fondamentaux des personnes âgées se pose.

Le problème de l'alcool dans les institutions est récurrent, sensible et même tabou. L'éthique est toujours présente, entre volonté de protéger la personne âgée tout en lui laissant un maximum de liberté. L'émission de la RTS On en parle a mené l'enquête pour connaître les restrictions imposées en matière d'alcool dans les EMS en Suisse romande.

En tout, 126 EMS ont été interpellés et 75 ont répondu. Tous affirment autoriser la consommation d'alcool au sein de leur établissement, avec toutefois plusieurs restrictions, comme par exemple ne parfois pas permettre l'alcool au souper.

Dix-sept institutions disent fixer à tous les résidents des quantités limites en autorisant un, voire deux verres de vin à midi, au maximum. De manière générale, la tendance est de proposer un verre de vin durant les repas.

Règles plus strictes pour l'alcool fort

Plus d'un tiers des établissements ne proposent pas d'alcools forts. Une décision justifiée par une demande qui serait faible pour ce genre de boissons. Par ailleurs, trois maisons ne permettent pas de ramener de l'alcool de l'extérieur, comme l'EMS La Vernie de la fondation La Primerose, à Crissier.

Une réflexion y a été menée récemment; quand cet EMS a ouvert ses portes en 2010, l'alcool était totalement interdit. Mais au fil du temps, sa direction a réalisé qu'il n'était ni possible, ni justifié d'imposer à tout le monde de telles restrictions. Des règles plus souples ont ainsi été établies.

Parmi les réponses obtenues par la RTS, l'EMS La Vernie reste le plus strict en matière d'alcool: le nouveau règlement prévoit qu'en dehors des repas, l'alcool est interdit, à moins d'être expressément demandé.

Le verre du dimanche

Avec une exception toutefois le dimanche, où un verre de vin est automatiquement proposé: "Le dimanche, on prend plus de temps, on fait un repas de fête. Il y a la possibilité pour tous d'avoir un verre de vin: comme lors d'une sortie au restaurant," explique Nicole Piguet-Weishaupt, la directrice des soins de la fondation La Primerose.

"Quand les gens vont dans leurs familles, ils disent qu'ils ont envie de prendre un verre de vin. Mais c'est parce que c'est la fête, parce qu'on est avec nos proches. Le côté social est très important." Toutefois Nicole Piguet-Weishaupt affirme que c'est la volonté du résident qui prime.

Eviter le "verre du mal-être"

La directrice des soins explique que les résidents savent que, dans le restaurant ouvert au public, on ne va pas leur servir d'alcool en-dehors de midi: "Ils respectent: ils savent que c'est un endroit où, l'après-midi, on peut aller boire un thé, mais on va pas boire un ballon de blanc ou de rouge".

Une décision qui a été prise pour éviter le "verre du mal-être": "Ceux qui demandaient un verre l'après-midi, ce n'était pas le verre qui fait plaisir, c'est le verre pour oublier. Le vin pour soigner mon angoisse, pour diminuer mon anxiété ou faire que je puisse aller vers l'autre... Ce sont ces verres-là qu'on ne veut pas donner".

Mais à 85 ou 90 ans, si un petit verre peut réduire des angoisses, me redonner le sourire, pourquoi ne pas l'accorder? "On essaie de toujours voir quelle est la volonté du résident", explique Nicole Piguet-Weishaupt. "Si la consommation le met en danger - et l'a mis suffisamment en danger pour qu'il ne puisse pas rester à domicile - c'est quand même notre rôle de tenir un cadre".

La directrice avoue que c'est le défi de tout lieu de vie: respecter les droits de la personne, mais aussi la protéger.

L'alcool peut aggraver certaines pathologies

En vieillissant, le corps devient plus sensible aux effets de l'alcool. Selon le site addictions et vieillissement, avec l'âge, l'alcool peut aggraver certaines pathologies, influencer l'effet de certains médicaments et augmenter le risque d'accidents et de chutes.

Plus l'organisme est âgé, moins il contient d'eau: le taux d'alcool augmente donc plus rapidement et son effet est plus marqué.

Par ailleurs, selon un document très complet du GREA, le groupement romand d'études des addictions, entre 20 à 25% des personnes âgées en institution souffrent de problèmes d'alcool. Ce critère doit donc être pris en compte mais pas seulement: car chaque résident est différent, avec ses antécédents, ses médicaments, ses pathologies.

Les règles prédéfinies sont-elle adéquates?

Marie Cherubini, juriste à l'Université de Lausanne, est l'auteure d'une thèse de doctorat en droit sur les droits des personnes âgées en EMS. Elle estime qu'il est sain de mettre des règles, mais "elles ne peuvent pas tenir compte des choix de chaque personne, de leur individualité et de ce qui leur fait plaisir".

Selon elle, il faut se poser la question de l'adéquation de ces règles prédéfinies par rapport à la situation complexe qu'est la consommation d'alcool. D'autant plus qu'il n'existe aucune législation uniforme à ce sujet.

Conserver le dialogue

Poser certaines limites peut constituer une atteinte à la liberté de la personne âgée. La juriste préconise un suivi spécialisé pour les personnes dont la consommation est problématique, plutôt que de limiter tout le monde: "Les mesures doivent être proportionnées et discutées de manière interdisciplinaire", affirme Marie Cherubini. Afin qu'un résident puisse par exemple déguster une bière sur la terrasse par une belle journée d'été.

L'EMS est un lieu de vie, mais un lieu de vie particulier où des personnes de culture, de croyance et de passé très variés doivent cohabiter. Sphère privée et sphère intime sont confondues et superposées avec la dimension de vie publique et institutionnelle. "Les EMS doivent jongler avec ces différents intérêts, mais ils doivent respecter les droits et les libertés des résidents".

Pour la juriste, un dialogue doit être établi dès l'entrée en maison. Avec le résident, mais aussi avec la famille de ce dernier, s'il n'est plus apte à prendre de décisions.

Sujet radio et enquête: Marie Tschumi et Léna Guyot

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

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