Très à la mode depuis quelques années, le ski en peau de phoque n'est plus une pratique de niche réservée au cercle des montagnards aguerris.
En l'absence de statistiques précises, la RTS a pris la température auprès d'une vingtaine de professionnels -offices de tourisme, magasins de sports et guides de montagne- dans les principales stations vaudoises et valaisannes.
Leur constat est unanime: la demande pour le ski de randonnée, en progression constante depuis une dizaine d'années, a bondi il y a environ trois saisons.
"S'éloigner des sentiers battus"
Pour exemple, l'office du tourisme de Nendaz (VS) estime que "3 à 4 demandes" de renseignements sur 10 qui lui sont adressées concernent désormais cette discipline. L'enseigne Hefti Sport, active dans les Alpes vaudoises, fait part quant à elle d'une hausse de 7 à 8% par an de la location et de l'achat de matériel de ski de randonnée.
La porte-parole de Nendaz Tourisme dresse un parallèle entre ce phénomène et "le succès grandissant des trails et autres randonnées en montagne", soulignant "une envie généralisée de liberté, de retour à la nature (...) et de s’éloigner des sentiers battus".
Un matériel plus accessible et performant, ainsi qu'une visibilité accrue grâce à des courses telles que la Patrouille des Glaciers, contribuent à attirer un plus large public et les professionnels du secteur s'en félicitent.
Davantage de victimes d'avalanches qu'en hors-piste
Mais certains craignent aussi de voir des débutants mal préparés s’aventurer en peau de phoque sur des terrains dont ils sous-estiment les dangers. Au risque, au mieux, de se perdre, au pire, de tomber dans une crevasse ou d’être emporté par une avalanche.
Le ski de randonnée est le sport d'hiver qui enregistre chaque année le plus d'accidents mortels en Suisse. Les skieurs de randonnée sont en particulier sur-représentés parmi les victimes d'avalanches, devant les autres pratiques de hors-piste: ils sont en moyenne 12 par an à trouver la mort dans une coulée de neige.
A noter qu'il est impossible de dire si le nombre de victimes augmente ou non, car les conditions météo et nivologiques sont déterminantes et varient beaucoup d'une année à l'autre.
Une des hypothèses avancées pour expliquer ces chiffres serait que "les skieurs de randonnée empruntent plus souvent des itinéraires plus éloignés des pistes, où le risque d'avalanche est plus grand et la probabilité d'un sauvetage rapide moindre", indique le porte-parole du Bureau de prévention des accidents (BPA) Marc Kipfer.
Le nombre de blessés en ski de randonnée augmente pour sa part progressivement d'année en année et se situe à 900 par an en moyenne depuis 2011, toutes gravités confondues.
Majorité consciente des risques
Plusieurs guides de montagne ont indiqué à la RTS recevoir de plus en plus de demandes d'accompagnement et de formation aux dangers d'avalanche, preuve selon eux que la majorité des randonneurs à ski est sensibilisée aux risques.
Cela dit, Fabien Brand, jeune guide de montagne aux Diablerets, constate parfois des erreurs de débutants. Il désigne par là les skieurs qui partent sous-équipés, ceux qui n'étudient pas assez leur parcours et suivent les traces d'autres personnes sans savoir où elles mènent, ou encore ceux qui débutent leur course à une heure avancée de la matinée alors que la journée s'annonce chaude.
"Les gens ont aussi tendance à partir vite lorsqu'il y a de la neige fraîche parce qu'ils veulent skier sur de la poudreuse, alors que cela accroît les risques", ajoute encore le guide.
Et de rappeler les règles de sécurité qui s’imposent: ne pas partir en randonnée seul et faire appel à un guide pour des sorties en haute montagne; se munir d’un détecteur de victimes d’avalanches, d’un téléphone portable, d'un casque, d'une sonde et d'une pelle; bien se renseigner sur la situation météorologique et nivologique, quitte à renoncer en cas de doute.
Développement des rando-parcs
De plus en plus de stations choisissent de proposer des itinéraires sécurisés et balisés au sein de "rando-parcs", qui ne demandent pas de connaissances particulières de la montagne. Certains de ces parcours tracés en pleine nature rejoignent le sommet des remontées mécaniques pour permettre une descente sur les pistes de ski traditionnelles.
Le premier rando-parc valaisan a vu le jour à Morgins en 2016. A l'époque, "une des premières volontés (...) était de régler la cohabitation entre skieurs et skis de randonnée qui était problématique" et "de canaliser la pratique puisque les [skieurs de randonnée] montaient un peu partout", se remémore Tommy Stefanelli, responsable produits et vente pour la région Dents du midi. Selon lui, le rando-parc a permis d'en finir "quasiment instantanément" avec les plaintes.
Comme Morgins, toutes les stations contactées par la RTS qui proposent une telle offre en soulignent les bénéfices en termes de sécurité, et le succès qu'elles rencontrent. Crans-Montana indique ainsi avoir vendu plus d'un millier de forfaits journée et 80 abonnements pour la saison dès le premier hiver d'ouverture de son rando-parc l'an passé.
Pauline Turuban
Deux morts le mois dernier en Suisse
Le mois dernier en Suisse, deux personnes sont décédées, une autre a été blessée, dans des avalanches alors qu'elles pratiquaient le ski de randonnée.
Le 3 février, une avalanche qui s'est déclenchée à Diemtigen (BE) a emporté un homme et une femme qui s'apprêtaient à descendre à skis du sommet du Meniggrat. La plaque de neige s'est probablement détachée alors qu'ils traversaient la pente. La femme a été blessée et a dû être héliportée à l'hôpital. L'homme a été retrouvé mort, selon la police cantonale bernoise.
Trois jours plus tard, un homme de 27 ans a été emporté par une avalanche à Wimmis (BE). Selon les premiers éléments de l'enquête, l'homme était probablement en train de monter au sommet du Niesen lors d'une randonnée à ski, avec un accompagnateur, lorsqu'une plaque de neige s'est détachée.
"Il n'y a pas de modèle économique prédéfini"
L’avenir des stations de ski de basse et moyenne montagne se pose toujours plus en Suisse romande. Dans le canton de Fribourg, les remontées mécaniques de Charmey ont fermé dimanche déjà, par manque de neige, mais surtout de moyens financiers.
D’autres stations fribourgeoises, vaudoises et valaisannes ont aussi fait les frais de l’arrivée tardive de la neige cette saison et n’ont pas pu ouvrir à Noël.
Interrogé lundi dans La Matinale, le directeur opérationnel des activités touristiques de Moléson-sur-Gruyères (FR) souligne cependant qu'on ne peut pas tirer de ligne générale. "Il n'y a pas de modèle qui soit prédéfini. Chaque destination est un modèle économique à part entière", relève Antoine Micheloud.
Et les modèles sont déjà en train de changer, rappelle-t-il. "Enormément de stations repensent leur avenir. La question, c'est de le penser dans le bon sens et il ne faut pas placer des espoirs où il n'y en a pas. Si on pense que tout le monde va pouvoir survivre grâce à l'été, ça ne sera pas juste."
>> Ecouter l'interview d'Antoine Micheloud dans La Matinale: