Le document, finalement rendu public malgré l'opposition du
gouvernement, se penche sur les motifs avancés par ce dernier pour
justifier son attitude. Le verdict est sévère.
La délégation est en effet d'avis qu'il n'existait aucune raison
impérieuse (la Constitution mentionne le fait de "parer à des
troubles existants ou imminents menaçant gravement l'ordre public,
la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure") de renoncer à
l'utilisation des plans de construction (d'armes nucléaires) comme
pièces à conviction dans une procédure pénale", peut-on lire dans
le rapport.
Intérêts du pays pas touchés
Ce motif étant écarté, la délégation a ensuite examiné la
question de savoir si des raisons relevant des relations avec
l'étranger, c'est-à-dire la sauvegarde des intérêts du pays,
pouvaient justifier la destruction de ces pièces. Là aussi, la
réponse est non, à ses yeux.
Washington avait suggéré à la Suisse de transmettre les plans de
construction tombés en sa possession sous la responsabilité d'un
Etat habilité à posséder des armes nucléaires, relate la
délégation. Or, le Conseil fédéral ne s'est jamais penché sur cette
proposition, déplore-t-elle.
Et de souligner que l'exécutif "a préféré répondre aux exigences
des Etats-Unis en se débarrassant de l'intégralité de toutes les
pièces à conviction, y compris les plans de construction d'armes
nucléaires".
Services secrets sur la touche
La délégation estime que, lors de la pesée d'intérêts, le
Conseil fédéral n'a pas invoqué d'effets concrets sur la politique
étrangère de la Suisse qui n'auraient pu être prévenus qu'au prix
d'une intervention aussi lourde de conséquences pour l'indépendance
de la justice. Par conséquent, elle considère la destruction
ordonnée le 14 novembre 2007 "disproportionnée".
L'enquête de la délégation a par contre montré que les services de
renseignement suisses ont joué "un rôle mineur" dans la gestion de
l'affaire Tinner par le Conseil fédéral. Celui-ci a apprécié les
risques liés à l'existence des plans de construction d'armes
nucléaires sans requérir leur aide, d'après les parlementaires.
Christoph Blocher critiqué
Le rapport de la délégation des
commissions de gestion sur l'affaire Tinner épingle également
l'ancien conseiller fédéral Christoph Blocher. Ce dernier n'a
communiqué au Conseil fédéral la véritable ampleur du dossier que
sur le tard.
L'ancien chef du Département fédéral de justice et police (DFJP)
n'a informé le collège qu'au coup par coup et ne lui a révélé les
problèmes que tardivement. Le gouvernement ne s'est par conséquent
toujours penché que sur des aspects partiels de la problématique et
cela seulement lorsqu'une décision de sa part devenait urgente,
souligne le rapport.
Zones d'ombres maintenues
Le gouvernement n'en tire pas pour autant son épingle du jeu.
"Force est de constater qu'il avait accepté que le DFJP se limite à
l'informer au cas par cas et n'a jamais demandé qu'il lui présente
un état des lieux complet ou une stratégie globale".
Le rapport fait en revanche l'impasse sur le détail des contacts
entre Christoph Blocher et les représentants des Etats-Unis. Elle a
certes eu connaissance de plusieurs entretiens au cours desquels
"les intérêts des deux parties à la destruction de l'ensemble des
pièces à conviction sont devenus manifestes". Mais "en raison des
intérêts légitimes au maintien du secret invoqués par le Conseil
fédéral", la délégation renonce à s'étendre sur le contenu des
contacts.
ats/jeh
L'affaire Tinner en bref
Les Tinner sont accusés d'avoir livré à la Libye des éléments destinés à la fabrication de centrifugeuses à gaz visant à produire de l'uranium enrichi.
Ils auraient été en contact avec le «père» de la bombe nucléaire pakistanaise, Abdul Qadeer Khan, entre 2001 et 2003.
Ils auraient joué un rôle de soutien important dans le programme, aujourd'hui abandonné, visant à doter la Libye d'armes atomiques.
En Suisse, l'enquête porte sur une éventuelle violation des lois sur l'exportation de matériel de guerre et le contrôle des marchandises, ainsi que sur le blanchiment d'argent.
Urs Tinner a été arrêté en octobre 2004 en Allemagne, avec son frère Marco et leur père Friedrich, puis extradé vers la Suisse en mai 2005. Le père avait été remis en liberté début 2006. Urs Tinner a été libéré peu avant Noël 2008.
Marco Tinner bientôt libre sous caution
Marco Tinner pourra sortir de prison contre le versement d'une caution de 100'000 francs.
Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté un recours du Ministère public de la Confédération, qui s'opposait à la levée de la détention préventive. Son frère Urs est déjà sorti de prison fin décembre.
L'Office des juges d'instruction fédéraux avait décidé de libérer Marco Tinner contre le versement d'un montant de 10'000 francs.
Une caution jugée insuffisante par le TPF qui l'a fixée à 100'000 dans une décision prise mercredi.
L'instance judiciaire fédérale juge que la détention préventive de Marco Tinner est devenue "disproportionnée".
Le frère de Marco Tinner, Urs, lance une offensive médiatique. Dans une interview accordée à l'émission "Temps Présent" de la TSR (diffusion ce soir à 20h15 sur TSR1) et à SF, il expose sa version des faits. Les documentaires doivent être diffusés dans la soirée.
Selon ses propres dires, Urs Tinner a été impliqué involontairement dans l'affaire de contrebande nucléaire. "On atterrit si vite dans quelque chose avec laquelle on ne voulait rien avoir à faire".
L'ingénieur a passé quatre ans en détention préventive et n'a jusqu'à aujourd'hui pas été inculpé.
La "Weltwoche" publie elle un entretien avec le "père de la bombe atomique pakistanaise" Abdul Kader Khan.
Il décrit les Tinner comme une "famille honnête et droite" et se montre convaincu que le père, Friedrich, n'a jamais violé les règlements d'exportation suisses. Il dit ne pas bien connaître ses fils Urs et Marco.