Seules conditions posées par Genève, l'ex-détenu que le canton
acceptera devra être innocent et n'avoir aucun contact avec le
terrorisme, a indiqué lundi Laurent Moutinot. Il confirmait une
information du quotidien «Le Matin».
Peu importe en revanche son pays d'origine. Une telle position se
justifie par le fait que Genève a une renommée de ville
humanitaire, a ajouté le chef du département cantonal des
institutions.
Il y a eu des contacts bilatéraux entre la Confédération et le
canton de Genève, confirme pour sa part le vice-chancelier de la
Confédération Oswald Sigg. Suite à cela, l'Etat genevois a fait
part de sa disponibilité, a-t-il ajouté, précisant que Genève est
le seul canton avec lequel un tel échange a eu lieu.
Pas encore de décision formelle
Le Conseil fédéral n'a pas encore décidé formellement
d'accueillir des ex-détenus de Guantanamo. Il doit d'abord examiner
les modalités, juridiques en particulier, d'une telle procédure
d'asile. Il devrait informer la semaine prochaine du bilan
intermédiaire de ces examens, a dit Oswald Sigg.
Depuis que Micheline Calmy-Rey a laissé entendre que la Suisse
pourrait accueillir jusqu'à trois ex-détenus de la prison
américaine, plusieurs conseillers d'Etat de différents cantons sont
montés au créneau. Les uns pour donner un avis favorable, les
autres pour appeler à la prudence.
Zurich contre
Lundi encore, le Grand Conseil zurichois a déclaré urgente une
motion de l'UDC et de l'UDF exigeant que le canton tente de
convaincre la Confédération de ne pas accorder l'asile à d'anciens
prisonniers de Guantanamo. Le Conseil d'Etat a maintenant quatre
semaines pour dire ce qu'il pense de la motion. Le parlement votera
ensuite sur son contenu.
La semaine dernière, la Conférence des directeurs cantonaux de
justice et police a fait part de son scepticisme. Sa vice
présidente, la radicale st-galloise Karin Keller-Sutter, s'est dite
étonnée par la précipitation dont a fait preuve selon elle le
Conseil fédéral. Elle a l'impression que l'annonce du gouvernement
est dictée par des considérations de politique étrangère et
«certains accords diplomatiques».
Il en va apparemment d'intérêts qui n'ont rien à voir avec
Guantanamo, a jugé Mme Keller-Sutter, interrogée sur un lien
éventuel avec les pressions américaines concernant le secret
bancaire. Dans tous les cas, aucun canton ne se bousculera pour
accueillir d'anciens pensionnaires de Guantanamo, prédit-elle.
D'autres cantons favorables
Plusieurs conseillers d'Etat, de gauche et romands avant tout,
s'y sont toutefois déclarés favorables à titre personnel. Il en est
ainsi par exemple du Fribourgeois Erwin Jutzet, un des premiers à
sortir du bois mardi dernier. Modalités examinées Le socialiste ne
veut toutefois pas faire de pro-activisme: à Berne de nous
contacter, a-t-il en substance déclaré, soulignant que pour prendre
une telle décision, il devrait obtenir l'aval de tout le Conseil
d'Etat.
A l'inverse, son homologue vaudois Philippe Leuba déclarait être
«effectivement sceptique. Il n'est pas question que les cantons
donnent leur aval sans avoir une idée précise de qui sont ces
personnes. Le seul fait d'avoir séjourné à Guantanamo ne donne pas
droit à l'asile», ajoute le ministre libéral qui note cependant
qu'il est «trop tôt pour fermer définitivement la porte».
ats/cht
Quels détenus accueillir? Choix cornélien
Le choix des ex-détenus de Guantanamo qui pourraient être accueillis en Suisse risque de se révéler un casse-tête pour les autorités. Amnesty International, comme Dick Marty, les soupçonnent de vouloir appliquer des critères politiques au détriment de l'aspect humanitaire.
La fermeture de la prison de Guantanamo, où des «ennemis combattants» ont été détenus des années sans jugement, a été décidée par le nouveau président américain Barack Obama. Washington a demandé aux Européens d'accueillir des prisonniers «libérables», c'est-à-dire des personnes contre lesquelles n'existent aucune charge.
Berne a annoncé être prête à examiner un éventuel accueil d'ex détenus. En marge du Forum de Davos, le président de la Confédération Hans-Rudolf Merz a dit espérer que le Conseil fédéral leur accordera l'asile, soulignant qu'il est question d'accepter entre deux et quatre personnes au maximum.
Reste à savoir lesquelles. Pour la Suisse, il serait plus «confortable» de porter son choix sur un Ouzbèk ou un Algérien que sur un Libyen ou un Ouïgour (musulman chinois d'une région autonomiste), suggère Manon Schick, porte-parole de la section suisse d'Amnesty International (AI). Difficile en effet de se prononcer pour un Libyen, alors que Tripoli et Berne sont en crise diplomatique, relève-t-elle.
Délicat aussi d'accepter des Ouïgours, alors que le premier ministre chinois vient d'effectuer une visite en Suisse, à l'occasion de laquelle les deux pays ont décidé de renforcer leurs liens économiques.
«Amnesty a raison, ces critères diplomatiques seront vraisemblablement appliqués», déplore Dick Marty, ex-rapporteur du Conseil de l'Europe sur les vols secrets de la CIA. «Mais on n'est pas aux soldes, on ne fait pas défiler différents pullovers pour choisir une couleur !», tonne-t-il. «Le geste humanitaire ne devrait jamais être conditionné à la politique», ajoute le conseiller aux Etats (PRD/TI).
Amnesty demande d'accueillir en priorité «les personnes déjà libérables. Et certaines d'entre elles le sont depuis plusieurs années, comme les Ouïgours», remarque Mme Schick. Amnesty considère aussi qu'il faut prendre en considération des personnes qui auraient besoin d'un traitement de réhabilitation pour les tortures subies», notant que la Suisse «a une bonne expertise dans ce domaine».
En novembre dernier, Berne avait rejeté la demande d'asile de trois anciens détenus, un Libyen, un Algérien et un Ouïgour, mais un recours a été déposé contre cette décision avec l'appui d'Amnesty.
Sollicité, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) n'a pas souhaité s'exprimer «pour le moment sur le détail de ces critères» de choix.
En Europe, l'idée d'accueillir des détenus de Guantanamo ne provoque pas l'enthousiasme. Outre la Suisse, seuls le Portugal, la France, l'Espagne et l'Italie envisagent pour le moment d'y répondre positivement.