ÉPISODE 1: LA REPRISE DU DROIT
La Suisse et l'Union européenne sont liées par cinq accords bilatéraux dits d'accès au marché: la libre circulation des personnes, les transports terrestres, les transports aériens, les obstacles techniques au commerce et l'agriculture. Pour que ces accords restent d’actualité, ils doivent régulièrement être adaptés à l’évolution du droit européen et intégrés dans le droit suisse.
Actuellement, la Suisse le fait en général sur une base volontaire. Mais elle garde en principe la liberté de refuser certains éléments du droit européen. Cette situation ne plaît pas à l'UE qui menace de laisser s'éroder les accords actuels et de ne pas en signer de nouveaux.
L'accord institutionnel Suisse-UE est la solution trouvée par les deux parties pour que ces accords soient régulièrement mis à jour et appliqués de façon harmonieuse. Il prévoit que la Suisse reprenne le droit européen de manière presque systématique. Il s'agit d'une perte de souveraineté, dénonce l'UDC, qui s'oppose vivement au texte.
ÉPISODE 2: LE RÈGLEMENT DES CONFLITS
Que faire si la Suisse et l’Europe sont en conflit sur l’interprétation d’un de ces accords? Aujourd'hui, dans ce genre de cas, il ne se passe rien. Chacun campe sur ses positions. Avec l’accord-cadre, le conflit serait tranché par un tribunal arbitral constitué d'un juge suisse, d'un juge européen et d'un troisième juge nommé par les deux premiers.
A priori, on évite ces fameux "juges étrangers" que les Suisses détestent. Le hic, c’est que si le Tribunal arbitral estime que le différend touche du droit européen, il devra trancher en se basant sur la jurisprudence de la Cour européenne de justice, voire lui demander son avis qui sera alors contraignant. Et ça, ça ressemble déjà un peu plus aux juges étrangers.
La partie à qui le tribunal arbitral donnera tort pourra refuser de se soumettre. L'autre partie sera alors autorisée à prendre des mesures de représailles qui pourront être contestées devant le tribunal et éventuellement réduites, si elles sont jugées non proportionnelles.
ÉPISODE 3: LÀ OÙ CA COINCE
L'accord-cadre pourrait sauver la voie bilatérale, mais il suscite aussi de très nombreuses réticences en Suisse, et pas seulement à l’UDC. D'ici la fin du printemps, les partis et les partenaires sociaux devront prendre position sur ce texte. L'UDC dit franchement non, le PLR, le PBD et les Vert'libéraux oui. Quant aux autres partis, c'est plus compliqué: c'est oui sur le principe, mais avec de grosses réserves.
Le premier problème c’est que la Suisse devrait assouplir certaines des mesures d’accompagnement. Un exemple: aujourd'hui, si une entreprise européenne veut envoyer un travailleur détaché en Suisse, elle doit l’annoncer huit jours à l’avance. La raison: laisser du temps aux inspecteurs du travail pour vérifier qu'il n'y a pas de dumping salarial. Avec l'accord-cadre, ce délai passerait à quatre jours ouvrables seulement. Beaucoup trop court, disent les syndicats et le PS, qui craignent un affaiblissement de la protection des travailleurs.
Le deuxième grand problème, c'est qu'avec l’accord-cadre, la Suisse pourrait devoir reprendre ce qu'on appelle la directive sur la citoyenneté de l'Union européenne. Si c’était le cas, les Européens qui s'établissent en Suisse auraient notamment un accès plus facile qu'aujourd'hui à notre système social.
La Suisse devra-t-elle reprendre l'ensemble des points de la directive? On ne le sait pas. L'accord reste flou à cet égard. La décision finale dépendra sans doute du tribunal arbitral. Malgré ces inconnues, la Suisse devra dire oui ou non à ce texte d'ici la fin du printemps. Avec des risques et des avantages, quelle que soit sa décision.
Pierre Nebel