Offrir un saut en parachute ou une balade en canyoning pour un anniversaire, quelle bonne idée! Toujours plus courants, ces cadeaux peuvent devenir empoisonnés. S'ils sont rares, les accidents existent (5 morts en canyoning et 125 durant un sport aérien depuis 2000, selon le Bureau de prévention des accidents), alors que l'on s'attend à une douce escapade en plein air.
Jusqu'en 1999, les entreprises proposant ce type de sports (parapente, rafting, saut à l'élastique, base-jump,...) étaient soumises à des normes ou labels de qualité et de sécurité. L'accident du Saxetbach (voir ci-contre) a passablement modifié l'approche de ces disciplines. Leur réputation a été mise à mal: -75% de fréquentation sur 2 ans pour le canyoning, indique No Limits Canyon aux Marécottes, en Valais. Ensuite, alors qu'elles redevenaient populaires, ce sont les politiciens qui ont empoigné le dossier.
Des pionniers valaisans
Le premier canton à avoir réagi a été le Valais. En 2008, une loi sur les sports à risque a été votée. Elle fixe les principes de l'activité commerciale entre un prestataire et un client. Plutôt bien accueillie par les professionnels, elle cherche à donner un gage de qualité à toutes les sociétés actives dans le secteur, commente François Seppey, chef du service de l'économie et du tourisme valaisan.
Fait nouveau, la loi valaisanne rend obligatoire l'obtention d'une autorisation d'exercer (avant, on pouvait librement organiser des sauts à l'élastique). Celle-ci n'est délivrée que si une assurance RC a été contractée et si les guides suivent des formations précises. Les firmes qui travaillent sans autorisation sont désormais vite dénoncées, juge François Seppey. "Les sociétés qui étaient un peu cow-boy ont peu à peu disparu", se réjouit Claude-Alain Gailland, dirigeant de No Limits Canyon.
La Confédération emboîte le pas
Le cas valaisan a d'ailleurs fait tache d'encre au niveau fédéral. Après de longues années de discussions, le Conseil fédéral estimant que seuls les cantons devaient agir, la Commission des Affaires juridiques du Conseil national est en train de plancher sur un projet de loi, assure l'un de ses membres, Maurice Chevrier.
Le Valaisan n'a pas le droit de dévoiler le contenu des discussions en commission mais affirme que la loi pourrait être votée ce printemps déjà. La réglementation fédérale, proche de la loi valaisanne, vise une uniformisation. Pour le canyoning, il est aberrant de changer de réglementation quand la rivière traverse une frontière cantonale, observe Maurice Chevrier.
Des critiques
Si l'idée de légiférer rencontre l'appui du plus grand nombre, des critiques ne manquent pas de surgir. Tout d'abord, il n'est pas possible de lutter contre les inconscients qui ne passent pas par une structure reconnue. C'est dans ces cas-là que surviennent les accidents et c'est à cause d'eux que ces sports ont mauvaise réputation, assure Claude-Alain Gailland. Et l'attrait de l'interdit est toujours aussi fort (voir ci-contre).
Par ailleurs, certains professionnels estiment que le système des labels actuellement en vigueur est suffisant. Pour Pascal Romanens, responsable administratif de Gruyères Escapade , le label "Safety in adventures" fixe déjà des règles claires. Les clients peuvent s'y référer pour trouver des entreprises ayant effectué une analyse de risque des activités proposés et ainsi réduire ces risques. Et le problème des lois, conclut Pascal Romanens, "c'est qu'elles sont surtout utiles après les accidents, pour trouver des responsables, mais qu'elles ne vont pas faire baisser leur nombre".
Entre pure folie et conscience des limites
Les sociétés qui survendent l'activité sur leur site web ("un sport comme vous n'en avez jamais fait", "de l'extrême à l'état pur", "pure folie") constituent un autre problème, juge Magali Dubois, porte-parole du bpa. Les lois ne peuvent rien dans ce domaine et les gens sont immanquablement attirés, sans se rendre compte des risques. D'autant plus que la prévention pour les sports à risque n'est pas une priorité: tant le bpa que la Suva dépensent peu pour des campagnes, préférant se concentrer sur des sports générant davantage de blessures, comme le football et le ski.
Plus que les lois, la seule solution pour éviter les risques inutiles, selon tous les acteurs concernés, est par conséquent de se fier aux entreprises offrant des gages de sécurité. Un argument de vente maintenant plus prisé que le côté casse-cou. Au lieu de la répression, sensibiliser les gens à être conscients de leurs limites est déterminant. Tout comme le fait de bien réfléchir avant d'offrir un saut en parachute...
Frédéric Boillat
Le drame du Saxetbach en 1999: 21 morts
Le 27 juillet 1999, 21 personnes, 18 touristes et 3 guides, avaient perdu la vie dans les gorges du Saxetbach, près d'Interlaken (BE), alors qu'elles pratiquaient le canyoning.
Les 45 participants à cette expédition avaient été surpris par une brusque montée des eaux du torrent.
La plupart des victimes étaient de nationalité australienne ou néo-zélandaise.
La société Adventure World, qui avait organisé la sortie, avait été pointée du doigt pour sa mauvaise organisation.
D'autant plus que cette société avait aussi été impliquée dans un accident mortel lors d'un saut à l'élastique en 2000.
Adventure World a d'ailleurs été dissoute depuis lors.
En décembre 2001, six des huit responsables de l'accident de canyoning dans le Saxetbach ont été condamnés pour homicide par négligence.
Les deux responsables du centre, trois membres du conseil d'administration et un guide avaient écopé de peines de 3 à 5 mois de prison avec sursis.
Deux autres guides avaient été acquittés.
Irrésistible goût du risque
Les réglementations n'ont généralement pas énormément d'effet, estime Fabien Ohl, sociologue du sport à l'Université de Lausanne.
Selon lui, une des manières de prendre des risques, c'est justement de contourner l'interdit.
Et les accidents ne changent rien, selon le sociologue. Les gens se disent que c'est la faute à la malchance, que cela n'arrive qu'autres et pas à eux. Chacun se dit qu'il aurait surmonté le danger s'il y avait été confronté.
Le fait de se confronter au risque est également une manière d'exister dans la société, conclut Fabien Ohl.
Cet avis est partagé par Gildas Loirand, sociologue à l'Université de Nantes et auteur d'un article intitulé "Parachutisme: célébration du danger".
Selon ce spécialiste, "éprouver une émotion forte avec un risque librement consenti fait partie intégrante du plaisir".
C'est l'idée-même de risquer la mort qui attire. A ses yeux, "les gens aiment ruser avec la mort".