Le gouvernement a confirmé vendredi la stratégie esquissée la
veille par Hans-Rudolf Merz à Genève. En substance: l'abolition du
secret bancaire en tant qu'instrument de protection de la sphère
privée des clients des banques n'est pas d'actualité, mais la
Suisse est prête à «dialoguer», notamment sous l'angle de la
fiscalité de l'épargne et de l'échange d'informations.
Il convient donc de privilégier une voie médiane, entre le statu
quo et l'abandon pur et simple de la pratique actuelle. S'il
«n'exclut rien» concernant les mesures qui seront décidées au
final, le ministre des Finances s'en remet pour l'instant au groupe
d'experts qui vient d'être institué.
Nouvelle définition de la fraude
Cet organe, dirigé par le diplomate Manuel Sager, se réunira
pour la première fois ces prochains jours. C'est sur la base de ses
recommandations, qu'il élaborera lors de séances confidentielles,
que le Conseil fédéral décidera de la suite des opérations. Cela
pourrait être des «décisions importantes».
Ce groupe est composé de spécialistes du secret bancaire
(lire encadré), à eux de voir ce qui est faisable
dans ce cadre pour réduire l'hypothèque qui pèse sur la Suisse tout
en garantissant ses intérêts, a fait valoir le grand argentier
devant les médias. «C'est un signal pour réduire la pression sans
pour autant abandonner nos valeurs fondamentales.»
Les experts auront en particulier pour mission de se pencher sur
les notions de délits fiscaux - fraude, évasion, soustraction - et
sur la distinction pratiquée à ce propos par la Suisse. Hans-Rudolf
Merz n'a pas caché qu'il faudra sans doute prendre en compte une
nouvelle définition de la fraude.
Autres questions à creuser: le prélèvement d'un impôt à la source,
ensuite reversé aux pays concernés, et l'échange automatique
d'informations. Or, pour l'instant, l'accord sur la fiscalité de
l'épargne passé avec l'Union européenne (UE) inclut le premier
élément, mais pas le second.
La Confédération doit toutefois disposer des mêmes armes que les
autres pays et ne pas être discriminée. Il est inimaginable pour
Hans-Rudolf Merz que la place financière helvétique paie les pots
cassés. Le conseiller fédéral a fait allusion à un nouvel impôt, de
28%, introduit en début d'année par l'Allemagne, alors que la
retenue à la source effectuée par la Suisse s'élève à 35%.
Mois d'avril chargé
Concernant la menace du G20 d'inscrire la Suisse sur la liste
noire des paradis fiscaux, le ministre des Finances n'a pas voulu
crier victoire. Le risque demeure, mais il espère que la bonne
volonté de la Suisse est en mesure de le réduire. La réunion du G20
est prévue le 2 avril.
C'est aussi le mois prochain que l'UBS doit préparer sa défense
dans le conflit qui l'oppose aux autorités américaines. En avril
également, Hans-Rudolf Merz pourrait par ailleurs rencontrer son
homologue américain Timothy Geithner. Le temps presse donc, ce qui
laisse peu de marge de manoeuvre. Mais le radical n'a pas voulu en
démordre: pour avoir une base solide pour discuter, voire négocier,
il convient d'abord d'avoir les conclusions des experts.
Les partis critiques
Les annonces faites vendredi par le Conseil fédéral sur le
secret bancaire ne satisfont pas les partis politiques. Tous posent
des revendications différentes, mais PS, PDC et UDC se rejoignent
pour repousser l'extension de la fiscalité de l'épargne à d'autres
pays.
ats/ant
Le secret bancaire en Suisse et en bref
Le secret bancaire se définit comme l'obligation des banques de
garantir la discrétion sur les affaires de leurs clients ou de
tiers, écrit le Département fédéral des finances sur son site
internet. En Suisse, il n'est pas absolu car il peut être levé sur
ordre d'une autorité judiciaire.
Contrairement à d'autres pays, la Suisse fait la distinction entre
évasion et fraude fiscales. Ces deux délits sont punissables, mais
seule la fraude est passible de poursuites pénales en Suisse.
Celui qui omet, intentionnellement ou non, de déclarer des revenus
imposables se rend coupable d'évasion fiscale. Pour cette
soustraction d'impôts, il ne risque pas en Suisse d'aller en prison
comme en France ou en Allemagne, mais risque d'écoper d'une amende
pouvant être plus élevée que le montant soustrait.
Si un contribuable tente de tromper les autorités fiscales en
falsifiant par exemple des bilans ou des livres de comptes, il
commet une fraude fiscale. Cette escroquerie peut entraîner des
poursuites pénales. C'est dans ce cadre que le secret bancaire peut
être levé sur décision d'une autorité judiciaire.
Il est en revanche tout à fait légal pour un particulier ou une
entreprise de transférer son domicile dans un pays où la fiscalité
est particulièrement avantageuse. Certains sportifs, artistes ou
musiciens fortunés ont recours à cette pratique.
Font partie du groupe d'experts
Administration fédérale
- Manuel Sager, ambassadeur, chef de la Division politique V du DFAE (direction)
- Michael Ambühl, secrétaire d'Etat, DFAE
- Jean-Daniel Gerber, secrétaire d'Etat, DFE
- Jürg Giraudi, chef de la Division des affaires internationales et de double imposition de l'Administration fédérale des contributions, DFF
- Alexander Karrer, ambassadeur, chef de la Division des questions financières internationales et de la politique monétaire, DFF
- Michael Leupold, directeur de l'Office fédéral de la justice, DFJP
- Peter Siegenthaler, directeur de l'administration fédérale des finances, DFF
- Jacques de Watteville, ambassadeur, chef de la mission de la Suisse auprès de l'UE, DFAE
Experts externes
- Prof. Jens Drolshammer, professeur titulaire de droit américain et de délimitation et planification des affaires juridiques, Université de St-Gall
- Philipp Hildebrand, membre de la direction générale de la Banque nationale
- Prof. Alfred Mettler, professeur ordinaire d'économie, Georgia State University
- Prof. Xavier Oberson, professeur ordinaire de droit fiscal, Université de Genève
- Urs Ph. Roth, président du comité exécutif de l'Association suisse des banquiers