Entrée au monastère il y a vingt ans après avoir travaillé comme ingénieure, sœur Marie-Paule vit depuis selon la règle de Saint-Benoît "Ora et labora" ("prie et travaille") au sein de la congrégation des Bernardines à Collombey-Muraz en Valais.
Elle défend sa foi, son engagement et sa congrégation, mais entend défendre aussi aujourd'hui les victimes des abus sexuels commis par des membres du clergé.
Dans un premier temps, les bras nous en tombent, on reste sans voix.
C'est nécessaire de parler, explique-t-elle mardi dans La Matinale. "C'est essentiel de dire la stupeur et le scandale que causent ces nouvelles révélations chez les chrétiens de base dont je suis, et de libérer la parole des victimes."
Elle vit les révélations qui se succèdent dans la douleur. "Dans un premier temps, les bras nous en tombent, on reste sans voix. Ensuite, on sent l'indignation monter et il ne faut pas se taire. Il faut les dénoncer, il faut que la parole se libère réellement."
Soeur Marie-Paule compare l'Eglise à une famille qui découvre que l'un des siens a fauté. "On se sent tous meurtris, on se sent tous humiliés, aussi. Et petit à petit, on voit que ce n'est pas juste une personne, l'ampleur touche le monde entier, des institutions entières. L'Eglise catholique est une grande institution et du coup, l'ampleur est à la hauteur de cette grande institution."
Je ne me reconnais pas dans cette Eglise-là comme l'Eglise de Jésus-Christ.
La religieuse est atteinte jusque dans son engagement, qui est "questionné" par ces scandales. "Je ne me reconnais pas dans cette Eglise-là comme l'Eglise de Jésus-Christ", dit-elle. "Mon attachement reste encore plus ancré dans ce message que je veux défendre. Mon espérance est dans l'Evangile, pas dans cette Eglise institutionnelle qui a fauté. En même temps, il faut voir que cette problématique se retrouve à plusieurs étages de la société et qu'on découvre aujourd'hui l'ampleur de cette pandémie."
Le scandale des abus commis sur des religieuses, qui n'a été dénoncé que très récemment, l'a choquée. "Ce qui me semble assez aberrant, c'est qu'on attend que des journalistes révèlent la chose, on n'est pas capable de l'intérieur de dénoncer et de le dire. Et c'est là où la crédibilité est engagée. C'est sous la contrainte, presque, qu'on entend ça (...) Pour moi il y a vraiment un mal absolu."
On voit bien cette emprise de prédation du religieux qui va choisir sa victime.
Et c'est toute la culture du silence dans l'Eglise catholique qui est pointée du doigt. "On voit bien cette emprise de prédation parce que le prêtre ou le religieux qui va agir ainsi, va choisir sa victime. Il ne peut pas prendre le risque d'un refus parce qu'il sait qu'il va être dénoncé. Il y a quelque part une forme d'intelligence machiavélique derrière parce qu'il va choisir la victime la plus vulnérable (...) Humainement, c'est abject, il n'y a pas d'autre mot, vraiment."
Aujourd'hui, sœur Marie-Paule lutte contre ses sentiments face à la hiérarchie catholique. "C'est une colère légitime", souligne-t-elle, tout en rappelant que tous les prêtres ne sont pas des abuseurs, des pédophiles. "Il y a beaucoup de choses très belles qui se jouent aussi. Mais il faut être vigilants et il faut pouvoir donner la parole aux personnes qui ont été abusées, c'est essentiel."
Cardinal Barbarin: "Le pape n'a toujours pas compris"
Brouillant les messages, le Vatican continue aujourd'hui encore à donner des signes contradictoires sur son engagement à lutter contre les abus au sein de l'Eglise. Il vient ainsi de refuser la démission du cardinal Barbarin, condamné par la justice française pour non-dénonciation d'actes pédophiles. "Quand j'ai vu ça, les bras m'en sont tombés", s'exclame la religieuse. "Je me dis qu'il n'a toujours pas compris, vraiment. C'est un très mauvais message qu'il donne là."
Critiquer l'institution reste cependant difficile pour la sœur bernardine, qui pensait que l'Eglise était garante d'une certaine morale. "Et on voit que non: alors qu'elle a eu un discours extrêmement moralisant, on s'aperçoit que là où elle était très virulente, elle a complètement failli. Du coup, cela génère beaucoup d'incompréhension mais j'espère que cela va générer aussi un retour à l'essentiel du message de l'Evangile."
Propos recueillis par Elisabeth Logean/oang