Des avocats genevois, une fiduciaire zurichoise spécialisée dans les montages offshore, des comptes helvétiques : les affaires troubles d’Airbus ont reposé durant des années sur les services fournis par des intermédiaires suisses. C’est ce que révèle des emails, contrats et documents bancaires inédits obtenus par Der Spiegel et Mediapart et partagés avec l’EIC.
L’avionneur européen fait face à des enquêtes pour des soupçons de corruption ouvertes coup sur coup en Grande-Bretagne (2016), en France (2017), et également aux Etats-Unis (2018). Des ventes de satellites et d’hélicoptères au Kazakhstan, un contrat pour des avions de ligne destinés à la Libye ou encore des livraisons au Mali et en Arabie Saoudite sont soupçonnés d’avoir été entachés d’irrégularités et de versements de commissions occultes.
Perquisitions à Genève
Les investigations internationales se rapprochent de la Suisse sur plusieurs dossiers. Concernant les ventes au Kazakhstan, une demande d’entraide française a mené à la perquisition au domicile genevois d’un ancien responsable du département Service & Marketing Organisation (SMO) d’Airbus en janvier 2017, selon un arrêt du Tribunal fédéral.
Un homme d'affaires tunisien qui collaborait avec le SMO sur le même dossier est également visé par la justice française. Il a lui aussi multiplié les liens suisses: séjours dans la région lémanique, banque genevoise… Selon nos sources, la saisie exécutée sur requête française visait une adresse genevoise de l'intermédiaire.
Le SMO agissait sur les contrats et les dossiers de ventes les plus épineux. Son rôle: rémunérer des intermédiaires utilisés pour remporter des marchés. Avide de discrétion, ce département spécial d’Airbus avait mis en place une galaxie de filiales servant de paravent au géant européen de l’aéronautique.
Avocats genevois, fiduciaire zurichoise
Dans cette constellation, des avocats de l’étude genevoise Merkt et associés administraient des entités enregistrées aux Antilles néerlandaises, au Panama ou au Luxembourg. Cette première couche de sociétés écran auraient permis à Airbus de cacher son contrôle sur le reste du montage opaque, lui aussi composé d’une série de sociétés offshore organisées en cascade.
Les documents obtenus par l’EIC et analysés par la RTS montrent aussi le rôle prépondérant de la fiduciaire zurichoise Quadris AG dans la gestion de sociétés, dont certaines suspectées d’avoir servi à cacher des versements corruptifs. Un de ses fondateurs, Alexander Breuer, a même personnellement participé à au moins une rencontre avec un cadre d’Airbus pour y discuter des montages financiers avec le SMO.
En plus d’être gérées depuis la Suisse, certaines de ces sociétés détenaient également des comptes auprès d’établissements helvétiques. Une transaction suspecte repérée en Suisse a ainsi provoqué l’ouverture d’une enquête à Genève (voir encadré).
"No comment"
Contactée par la RTS, la fiduciaire Quadris n’a pas donné suite à nos demandes. Cyril Abecassis, partenaire de l’Etude Merkt dont le nom et la signature apparaissent régulièrement dans les documents, a quant à lui affirmé ne pas pouvoir répondre à nos questions en évoquant le secret professionnel, tout en précisant n’être "jamais intervenu dans une quelconque affaire qui nous aurait placés en contravention avec la loi, et en particulier dans aucune affaire de corruption". Lors du scandale des Panama Papers, le cabinet Merkt était apparu comme l’intermédiaire le plus actif de Suisse.
Le Ministère public de la Confédération (MPC) a affirmé à la RTS ne pas avoir ouvert d’enquête au sujet d’Airbus. Le Parquet national financier, en charge de l’enquête française, n’a quant à lui pas voulu commenter l’avancée de sa procédure.
Airbus ne s’exprime pas non plus sur ce dossier. Le groupe tente depuis 2015 de se sortir de cette mauvaise passe avec une opération "mains propres" et collabore avec les autorités. Le SMO – que le président d’Airbus Tom Engers, sur le départ, n’hésite plus à surnommer le "bullshit castle" ("le château à conneries", ndlr) - a été démantelé en 2015, mais les enquêteurs semblent décidés à lever le voile sur ses pratiques secrètes.
Marc Renfer, Natalie Bougeard & Pascal Jeannerat
Des millions redistribués à la demande d'Airbus?
Les dernières révélations de l'EIC montrent que Samit, société libanaise d'un intermédiaire, a reçu près de 10 millions d'euros d'Airbus, officiellement pour son rôle de "consultant" dans la vente d'avions à la compagnie aérienne Egyptair.
Mais, fait troublant, la même Samit a ensuite redistribué une somme quasi-identique à six sociétés offshore tierces. Un document comptable de la fiduciaire zurichoise Quadris laisse penser que ces transferts ont été exécutés à la demande d'un cadre d'Airbus.
Ce circuit financier aurait ainsi pu servir à distribuer discrètement des fonds d'Airbus. Il met surtout à mal l'excuse du groupe aéronautique qui a toujours affirmé ne pas être au courant de l'utilisation des fonds.
L’étrange investissement dans l’or malien qui intéresse Genève
Le procureur genevois Yves Bertossa enquête sur les flux financiers entourant une vente d’hélicoptères à l’armée malienne. C’est un étrange investissement d’Airbus dans un projet bancal de mine d’or qui interpelle.
La justice soupçonne qu’un versement de près de 14 millions d'euros a pu en réalité servir à payer des commissions.