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La grève des femmes du 14 juin, une grève licite en Suisse?

La grève du 14 juin se prépare. Collectifs féministes et syndicats se mobilisent.
La grève du 14 juin se prépare. Collectifs féministes et syndicats se mobilisent. / 19h30 / 2 min. / le 9 avril 2019
Le 14 juin, les femmes sont appelées à se mobiliser en faveur de l'égalité entre hommes et femmes, notamment sur leur lieu de travail. La manifestation constitue-t-elle une grève au sens de la loi? Éléments de réponse.

Deux mois avant le jour J, les collectifs actifs dans la préparation de la mobilisation féministe du 14 juin s'affairent. Certains syndicats ont récemment mis à disposition des informations juridiques pour les femmes qui souhaitent faire grève ce jour-là.

En Suisse, le droit de grève est consacré à l'article 28 de la Constitution fédérale. Pour être licite, une grève doit remplir quatre conditions: elle doit se rapporter aux relations de travail, elle doit être conforme aux obligations de préserver la paix du travail, elle doit respecter le principe de la proportionnalité et elle doit être appuyée par une organisation de travailleurs.

Une mobilisation qui ne constitue pas une grève

"La mobilisation du 14 juin ne correspond pas aux critères juridiques d'une grève", affirme à la RTS Jean-Philippe Dunand, avocat et professeur de droit du travail. "En particulier, le Tribunal fédéral a récemment rappelé que les 'grèves politiques' n'étaient pas admises en droit du travail, en citant le cas des grèves tendant à faire pression sur les autorités ou des grèves poursuivant des objectifs extérieurs à l'entreprise ou à la branche", ajoute celui qui est aussi le co-directeur du Centre d'étude des relations de travail (CERT) de l'Université de Neuchâtel.

"Il faut également tenir compte de l'obligation de maintenir la paix du travail: elle prévoit que les parties à une convention collective de travail sont tenues de s'abstenir de tout moyen de combat quant aux matières réglées dans la convention", dit-il. Par exemple quant à la question de la rémunération, souvent réglée dans les CCT.

Un avis également partagé par Christine Sattiva Spring, avocate spécialiste du droit du travail. "Dans le cas du mouvement du 14 juin, nous ne sommes pas dans une vraie problématique de relations de travail entre des employés et un employeur spécifique", complète la chargée de cours à l'Université de Lausanne. "On peut d'ailleurs imaginer que le 14 juin des personnes qui ne sont pas directement concernées par les revendications de la grève veuillent manifester, par exemple des hommes, ou des femmes qui ne sont pas discriminées au niveau de leur salaire."

>> L'éclairage de Christine Sattiva Spring dans On en parle :

28 ans après, la grève des femmes pour l'égalité est relancé le 14 juin 2019. [Unsplash - Rawpixel]Unsplash - Rawpixel
Le droit de faire la grève / On en parle / 10 min. / le 8 mars 2019

Une grève licite dans le canton de Vaud

Du côté des syndicats engagés dans l'organisation de la journée du 14 juin, on juge que toutes les conditions sont réunies pour une grève. "La grève du 14 juin porte sur toute une série de questions, dont des revendications qui ont trait aux relations de travail, tels les salaires ou le plafond de verre au sein des entreprises", assure Michela Bovolenta, secrétaire syndicale active dans la coordination de la grève des femmes.

La militante donne l'exemple du canton de Vaud, qui considère la grève comme licite.

Conséquence: au sein de l'administration publique vaudoise, un service minimum sera instauré dans les activités dans lesquelles les prestations ne peuvent souffrir de retard ou d'interruption, les personnes qui souhaitent faire grève devront annoncer leur absence et la liste des grévistes sera transmise au Service du personnel de l'Etat de Vaud pour procéder à la retenue de salaire.

Car la grève donne à un employé le droit de ne pas travailler, mais pas d'être rémunéré.

Prendre un jour de vacances, l'alternative

En Suisse romande, le canton de Vaud fait pour l'instant figure d'exception. A Fribourg, le Conseil d'Etat considère que la grève du 14 juin s'inscrit dans le cadre d'une manifestation nationale, et non d'un conflit de travail. Le personnel qui souhaite se mobiliser pourra demander un congé si la marche du service le permet. Une approche également suivie par les cantons de Berne et du Valais.

Dans le canton de Neuchâtel, qui rappelle que le mouvement ne correspond pas à la notion de grève telle que prévue par la Constitution cantonale, les fonctionnaires pourront prendre congé ou être déclarés en grève avec la mention "congé non payé". Le service au public devra toutefois être assuré.

Dans sa réponse à la RTS, le canton du Jura explique reconnaître le droit de grève dans sa législation cantonale, mais le Gouvernement n'envisage pas d'encourager activement le personnel de l'Etat à participer à la journée du 14 juin prochain. Quant au canton de Genève, il devrait se prononcer prochainement.

La grève du zèle ou le port d'un foulard

Si la grève n'est pas licite, quels sont les motifs qui autoriseraient les femmes employées à ne pas aller travailler? Il est préférable d'annoncer à l'avance à son employeur son intention de participer à la manifestation du 14 juin et de demander un congé, selon Jean-Philippe Dunand.

"Mais si l'absence n'est pas signalée, l'employée se verra reprocher une violation de son contrat de travail", précise le professeur de droit. Il faut aussi tenir compte des intérêts légitimes de l'employeur au bon fonctionnement de l'entreprise.

Quant aux conséquences d'une absence non-annoncée, elles dépendront des circonstances. "On peut imaginer que l'employeur donne un avertissement", estime le spécialiste du droit du travail. "Je pense que les employeurs ont intérêt à trouver un accord avec les personnes qui souhaitent se mobiliser le 14 juin." Davantage pour des questions d'image que de droit…

Les syndicats rappellent par ailleurs que plusieurs manières de faire la grève s'offrent aux femmes qui veulent se faire entendre. "Les femmes peuvent également faire la grève du zèle sur le lieu de travail ou prendre une pause prolongée", indique Michela Bovolenta. Ainsi que mettre en oeuvre la grève à domicile en s'abstenant de toute tâche domestique.

Les collectifs pour la grève appellent aussi les hommes qui souhaitent manifester leur solidarité à mettre en oeuvre toute action qui permettrait au plus grand nombre de femmes de participer à la mobilisation. A l'image des pères de famille genevois qui en 1991 avaient remplacé les éducatrices de la petite enfance qui s'occupaient habituellement de leurs enfants.

Tamara Muncanovic, en collaboration avec Gilles de Diesbach

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Quelques litiges entre employeurs et employées en 1991

En 1991, quelques différends ont suivi la journée du 14 juin durant laquelle près d'un demi-million de femmes se sont mobilisées, selon la presse de l'époque. A Porrentruy (JU), deux employées de magasin ont reçu un avis de licenciement, puis ont été réengagées suite à l'intervention de leur syndicat. A Fribourg, une trentaine d'enseignantes et éducatrices de la petite enfance ont reçu une mise en garde de leur direction.