En mai 2013, l'Américain Cody Wilson, qui milite pour que chacun puisse imprimer et posséder une arme sans permis ni vérification, a publié sur internet les plans du "Liberator", une arme en plastique à imprimer en 3D. En deux jours seulement, ils ont été téléchargés plus de 100'000 fois avant que la justice américaine n'intervienne et impose leur retrait définitif en août 2018.
Cinq mois plus tard, la RTS a voulu savoir si ces fichiers représentaient un danger pour la Suisse à l'heure où les imprimantes 3D se généralisent. Il n'a fallu que quelques minutes pour obtenir les plans en question.
Imprimeurs prêts à dénoncer...
Pour cette enquête, la RTS a envoyé une demande de devis d'impression à vingt imprimeurs spécialisés en Suisse romande. Rapidement, des voyant rouges s'allument et une quinzaine de réponses négatives ont été renvoyées. Certains professionnels menacent aussi d'alerter les autorités pour dénoncer le projet. Car l'impression et la possession de ces armes 3D sont pénalement répréhensibles: une peine privative de liberté ou des jours amendes peuvent être encourus.
Yann Gosteli a créé la société d'impression 3DVS il y a cinq ans. Lorsqu'il a reçu les fichiers, il a tout de suite compris de quoi il s'agissait. "En voyant certaines parties, on voit directement que c'est une arme. Elles sont interdites parce qu'on ne peut pas les enregistrer. Et elles sont en plastique, donc elles peuvent être indétectables même si d'après le plan original, on est censé ajouter un morceau de métal dedans. Mais on peut très bien ne pas le faire", explique-t-il.
...et d'autres moins vigilants
Sur les vingt demandés, trois devis de 260 à près de 500 francs ont tout de même été reçus. Sur la plateforme d'un imprimeur, les pièces peuvent être commandées en quelques clics et il suffit d'une simple carte de crédit pour se faire livrer.
Contacté, un imprimeur situé en région bernoise réalise son erreur et s'explique: "Bien entendu, nous refusons toute production d'armes à feu […] Ce n'était pas clair dans le cas présent. […] Notre employé a brièvement passé en revue cette liste et l'ordre a été transmis directement à la société d'exécution. […] Sur la base de cet incident, nous avons immédiatement ajusté notre système de contrôle et nous y accorderons encore plus d'attention. A partir de maintenant, chaque commande sera vérifiée avec soin avant de la transmettre."
Outre la réponse des imprimeurs, deuxième surprise: la facilité de montage du "Liberator". Certaines pièces ont dû être limées et des trous ajustés, mais pour le reste c'est très simple. De quoi inquiéter les forces de l'ordre.
Cécile Tran-Tien
Une arme qui tue et explose
L'école des Sciences criminelles de Lausanne a récemment réalisé une étude sur ces armes 3D. Pour le moment aucune arme de ce type n'a été saisie en Suisse romande mais police et chercheurs préfèrent prendre les devants. "On est encore au conditionnel mais on doit quand même pouvoir anticiper le fait que peut-être quelqu'un les utilisera un jour. Dans ce cadre, il faut savoir quelles sont les traces que l'on peut s'attendre à retrouver sur une scène de crime", explique le professeur Olivier Delémont.
En collaboration avec la police cantonale, 11 "Liberators" ont été imprimés pour être testés dans un stand de tir sécurisé. Les résultats sont formels: l'arme est très dangereuse et peut provoquer des blessures mortelles, pour la cible comme pour le tireur: car sur huit tirs, l'arme a explosé six fois lors de la propulsion de la balle. "Même si l'arme explose, le projectile va à environ 140 m/s. C'est largement suffisant pour pénétrer dans un corps et faire des dégâts", explique Denis Werner, l'un des auteurs de l'étude.