"C'est un scandale", tonne le professeur Alain Golay, interrogé
sur le fait que la valeur énergétique n'apparaisse pas sur les
bouteilles d'alcool. L'alcool est très calorique, et sa
consommation peut provoquer de réels problèmes de poids, explique
ce spécialiste de l'obésité aux Hôpitaux Universitaires de
Genève.
A l'heure où le surpoids est un problème de société représentant
des coûts près de 3 milliards de francs par an en Suisse, le fait
que les producteurs d'alcool - toutes boissons alcoolisées
confondues - ne soient pas tenus d'indiquer la teneur en calories
de leurs boissons intrigue. "Ce serait pourtant une bonne chose",
notent en choeur l'Institut suisse de prévention de l'alcoolisme et
Weight Watchers.
La mention n'est pas obligatoire
Mais cette mention n'est pas une obligation. L'ordonnance du
Département fédéral de l'intérieur sur les denrées alimentaires du
23 novembre 2005 ne contraint en rien les producteurs d'alcool à
s'y astreindre. Parce que la loi sur les denrées alimentaires n'a
pas pour but originel de développer une politique de la nutrition,
explique Dominique Sprumont. Elle vise à protéger la santé des
consommateurs, relève le professeur de l'Institut du droit de la
santé à l'Université de Neuchâtel.
Et le législateur ne considère pas les calories comme un danger en
soi. Les producteurs de vin sont tenus d'indiquer le degré d'alcool
et la présence de sulfites, précise de son côté le chimiste
cantonal de Genève.
En Suisse, l'étiquetage nutritionnel n'est obligatoire que pour
certaines denrées alimentaires, comme celles mentionnant des
teneurs particulières en nutriments, vitamines ou sels minéraux ou
encore les denrées comme les produits pour bébés, relève Patrick
Edder. Pour les aliments non soumis à obligation légale, c'est le
vendeur qui décide ou non de mettre de donner des indications
nutritionnelles. Chez les grands distributeurs, 80-90% des produits
les mentionnent.
Débat au niveau européen
L'Union européenne en débat et voudrait rendre cet étiquetage
obligatoire, ajoute le chimiste cantonal de Genève Patrick Edder.
La Grande-Bretagne, confrontée à des problèmes d'obésité, fait
pression pour faire avancer la question.
Le président de la Confédération des vignerons indépendants de
France souligne que la filière française du vin lutte contre ce
voeu. Mais Xavier de Volontat pense qu'un jour la branche "va
passer sous les Fourches Caudines de la globalisation de tout ce
qui est alimentaire".
En Suisse, la question n'est pas abordée
Si l'UE devait légiférer, la Suisse suivra, anticipe Jacques
Humbert, président de la section vaudoise de l'Association suisse
des vignerons encaveurs. Gisèle Ory, conseillère aux Etats
neuchâteloise, relève que la question n'a jamais été évoquée sous
la Coupole (lire ci-contre).
Face à l'épidémie d'obésité, sans parler des bitures express et
autres botellones, tout ce qui peut inciter à une consommation
d'alcool modérée est bon à prendre, s'accordent à dire les milieux
de la santé et de la protection des consommateurs (lire
encadré).
Pour eux, on ne peut plus dire "qu'importe le flacon, pourvu qu'on
ait l'ivresse", n'en déplaise aux producteurs, qui sont opposés à
l'idée de devoir mentionner la teneur en calories de l'alcool
(voir ci-contre) et au législateur. "Ne pas
libeller correctement les étiquettes, ce n'est pas normal", conclut
le professeur Alain Golay.
Nathalie Hof
Une question qui divise
Guère enthousiaste à l'idée de devoir mentionner la teneur en calories de l'alcool, la branche concernée souligne que la réimpression des étiquettes peut, pour les petits producteurs, coûter cher.
Alain Gruaz, oenologue chez Schenk, plus gros distributeur de vin en Suisse, estime par ailleurs que la mention des calories ne dissuadera pas le client de boire de l'alcool.
Du côté de Coop, le porte-parole Karl Weisskopf renchérit, affirmant que le consommateur sait que l'alcool contient des calories.
Franchement amusé, le producteur valaisan et conseiller national Jean-René Germanier estime que ce ne serait qu'une tracasserie administrative de plus. "Ca ne sert à rien et ça ne fera pas avancer la santé publique", affirme le libéral-radical.
A la connaissance de Gisèle Ory, qui siège à la commission de la sécurité sociale et de la santé publique, ce sujet n'a jamais été abordé sous la Coupole.
La conseillère aux Etats neuchâteloise précise que l'obésité, en revanche, constitue un débat important à Berne. Indiquer la teneur en calories de l'alcool serait une bonne chose, juge la socialiste.
La porte-parole de l'Office fédéral de la santé publique Sabina Helfer souligne que "la déclaration de la valeur énergétique serait certainement intéressante pour les consommateurs".
Du côté de la défense de ces derniers, la Fédération romande des consommateurs prône régulièrement l'obligation de la mention des calories pour tous les produits transformés, y compris les boissons alcooliques, signale Aline Clerc, en charge des questions sur l'alimentation.
"Mais je vois mal un Bordeaux grand cru afficher ses calories", déplore-t-elle. La FRC est favorable à l'idée, en particulier pour les alcopops.
Du côté d'A Bon Entendeur, l'émission de la TSR, Daniel Stons juge que la mention des calories aurait un effet dissuasif.
Tableau des calories
1 verre de vin rouge (1 dl) = 82 Kcal
1 verre de vin blanc (1 dl) = 105 Kcal
1 bière (3,3 dl) = 125 à 200 Kcal
1 dose de pastis (4 cl) = 106 Kcal
1 verre de whisky (4 cl) = 100 Kcal
1 dl de cola = 42 Kcal
1 dl d'eau = 0 Kcal