Par une majorité de quatre contre un, les juges ont estimé que l'erreur de chiffre dans la brochure du Conseil fédéral était très grossière. Vu le résultat serré - l'initiative avait été acceptée par 16 cantons et demi mais rejetée par une courte majorité des votants (50,8%) -, il s'impose d'admettre les sept recours déposés par des citoyens et d'annuler le scrutin.
Dans ses délibérations, la première Cour de droit public a estimé que le Conseil fédéral avait violé son devoir d'information et de transparence. "Les citoyens ne pouvaient pas pas former et exprimer leur opinion de manière correcte", argumente le TF. La Cour estime que cela représente une violation de la Constitution fédérale (article 34 alinéa 2).
L'initiative du PDC demandait que la Constitution fédérale soit complétée afin que "les couples mariés ne soient pas pénalisés par rapport à d'autres modes de vie, notamment en matière fiscale et d'assurances sociales".
Bien plus de couples concernés qu'annoncé
Mais la votation était entachée par une erreur grossière dans la brochure explicative du Conseil fédéral, qui n'évoquait que 80'000 couples mariés à deux revenus pénalisés par l'impôt fédéral direct (IFD), alors qu'ils étaient cinq fois plus en réalité. A ce nombre s'ajoutaient quelque 250'000 couples retraités. Au total, les couples mariés discriminés par l'impôt étaient au nombre de 704'000.
Le Conseil fédéral avait admis son erreur en juin 2018. C'est la raison pour laquelle le PDC avait demandé l'annulation de la votation, via des recours déposés dans plusieurs cantons. Les gouvernements saisis ayant rejeté ces demandes d'annulation, les recourants s'étaient alors tournés vers le Tribunal fédéral.
Le dossier dans les mains du Conseil fédéral
Le dossier passe maintenant entre les mains du Conseil fédéral, qui doit décider d'un nouveau vote du peuple et du Parlement. Dans un communiqué, il a indiqué qu'il prenait acte de la décision du Tribunal fédéral et qu'il en tirera les conséquences aussi rapidement que possible. Il s'agit d'une situation neuve, a fait valoir le porte-parole du Conseil fédéral André Simonazzi devant la presse. Les enseignements à tirer seront pris en compte par le groupe de travail mis sur pied l'an passé par le chancelier de la Confédération Walter Thurnherr.
Un nouveau scrutin populaire semble toutefois encore incertain, car la situation a évolué depuis 2016. "L’initiative comprenait une définition du mariage qui était l’union d’un homme et d’une femme, ce qui peut désormais paraître anachronique, dans la mesure où le projet de mariage pour tous a beaucoup progressé au Parlement", a détaillé la correspondante à Berne de la RTS Linda Bourget dans le 19h30. "Par ailleurs, le gouvernement a présenté l’année dernière un nouveau projet de suppression de la pénalisation fiscale du mariage. L’injustice ciblée par l’initiative pourrait être corrigée par ce biais".
Le contexte inédit de la décision du Tribunal fédéral met le Conseil fédéral dans une position inconfortable, car les juges ont été très durs envers lui. L’un d’entre eux s’est même dit choqué que le gouvernement n’ait pas rectifié les chiffres, qui remontaient à 2001. Ces inexactitudes sont problématiques, car la Confédération a le monopole d’un nombre important de données qui se trouvent au coeur des campagnes de votation.
Le PDC soulagé
Le président du PDC Gerhard Pfister s'est dit soulagé par cette décision, estimant qu'il s'agit également de "rétablir la confiance dans le Conseil fédéral". Mais avant de revoter, il faut à ses yeux un nouveau message du gouvernement et une nouvelle discussion au Parlement. Une simple répétition du vote n'est pas une option, a-t-il conclu.
Dans un communiqué, le PDC dit aussi attendre du Conseil fédéral qu’il recherche le dialogue avec le comité d’initiative et le parti avant de décider de la suite de la procédure.
Le PLR et l'UDC craignent un précédent, le PS satisfait
Pour l'UDC, cette décision est extrêmement délicate. Le parti craint qu'elle ne crée un précédent et "sape les bases de la démocratie directe". L'UDC profite de l'occasion pour réaffirmer sa position selon laquelle les autorités devraient s'abstenir de participer à une campagne de votation.
Le PLR craint aussi un précédent, redoutant que la saisie du TF ne deviennent une nouvelle pratique à l'avenir. Il s'interroge par ailleurs sur l'application précise qui sera faite de la décision.
Le Parti socialiste se félicite lui de la décision "claire" du TF du "point de vue démocratique". Dans ce sens, il estime juste de revoter sur l'initiative du PDC. Sur le fond, sa position reste en revanche inchangée: le PS rejette l'initiative du PDC parce qu'elle consolide une image sociétale anachronique et surannée
Julien Bangerter/oang/boi et ats
Une première en Suisse depuis 1848
Depuis la naissance de l’Etat fédéral en 1848, aucune votation fédérale n’avait été annulée, comme le confirme la Chancellerie fédérale.
A la suite de l’acceptation serrée de la réforme de l’imposition des entreprises en 2008, le PS avait aussi demandé l’annulation du vote devant le Tribunal fédéral. En cause: l’estimation beaucoup trop basse des pertes pour les caisses fédérales.
Mais le Tribunal fédéral avait alors rejeté le recours: la sécurité du droit plaidait pour le maintien de la réforme qui était déjà entrée en vigueur.
Autre précédent de taille, en 1854, l’élection au Conseil national dans le canton du Tessin avait été annulée en raison des violences et des irrégularités qui avaient émaillé la campagne. A l’époque, c’est le Conseil national, compétent en la matière, qui s’était prononcé.