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Le rude combat pour l'indemnisation des malades de l'amiante

Pour les victimes de l'amiante, l'indemnisation est un véritable parcours du combattant
Pour les victimes de l'amiante, l'indemnisation est un véritable parcours du combattant / 19h30 / 3 min. / le 14 avril 2019
En Suisse, la reconnaissance des victimes de l'amiante a été le fruit d'un long combat politique. Un fonds d'indemnisation existe depuis 2017, mais de nombreux malades peinent à être reconnus et dédommagés.

"Mes poumons, ils sèchent. Et je n'ai pas assez d'oxygène. J'ai perdu déjà un litre, un litre et demi d'oxygène", raconte Carmela Di Prizzio. A 74 ans, cette ancienne employée de l'usine Eternit à Payerne (VD), dans les années 60, souffre d'une fibrose pulmonaire. Le simple fait de marcher lui est devenu difficile.

Elle est convaincue que sa maladie est liée à l'amiante. "Je ponçais les bacs à fleurs. Par terre, c'était tout blanc. Je partais à la maison avec les habits dans lesquels j'avais travaillé et on n'avait pas de masque, on n'avait rien pour nous protéger", souligne-t-elle.

Longue lutte de reconnaissance

En Suisse, il a fallu des années de discussions entre partenaires sociaux et privés, sous l'égide de la Confédération, pour faire reconnaître les malades de l'amiante. Un fonds d'indemnisation est actif depuis 2017 pour dédommager les victimes reconnues.

Mais Carmela Di Prizzio, comme de nombreux autres malades en Suisse, peine à obtenir cette reconnaissance. Ce fonds ne prend en compte que le mésothéliome, un cancer qui tue rapidement et dont le lien avec l'amiante n'est pas contesté. Les autres maladies sont exclues.

Je crois que l'assurance attend que j'aie le cancer pour le reconnaître

Carmela Di Prizzio, ancienne employée de l'usine Eternit

Pour Luca Cirigliano, secrétaire général de l'Union syndicale suisse et membre du Conseil de fondation du fonds d'indemnisation EFA, cette solution est "très partiale". "On essaie de résoudre les cas les plus tragiques, fatals, extrêmes de cette catastrophe. Et pour les autres, hélas, on n'a pas de solution."

Exigence de la preuve pour la SUVA

Ceux qui se voient refuser le fonds d'indemnisation EFA peuvent recourir auprès de la SUVA, qui indemnise les maladies professionnelles. Mais Carmela Di Prizzio n'aura pas davantage de succès de ce côté-là. L'assureur estime qu'il manque la preuve que sa maladie est liée à l'amiante. "Je crois que l'assurance attend que j'aie le cancer pour le reconnaître. Comme je n'ai pas le cancer, elle ne le reconnaît pas. C'est dur."

Pour la SUVA, une affection est reconnue comme maladie professionnelle quand elle est causée à plus de 50% par le travail. Depuis les années 40, elle a reconnu 4800 cas de maladies liées à l'amiante. La moitié sont des mésothéliomes. Pour les autres maladies, l'assurance mène une enquête affûtée.

Le gros problème pour les expositions qui ont eu lieu il y a 50 ans, c'est qu'on n'a pas cette documentation à disposition.

Sébastien Eich, médecin du travail à la SUVA.

Sébastien Eich, médecin du travail à la SUVA, s'explique: "C'est un système scientifique rigoureux qui nécessite en effet de prouver, d'argumenter et de documenter. Et le gros problème, pour les expositions qui ont eu lieu il y a 50 ans, c'est qu'on a pas cette documentation à disposition."

Des questions précises sont dès lors posées aux malades: "Quelles étaient les situations de travail? Où ont-ils travaillé? Comment ont-ils travaillé? Avec quels matériaux? Comment est-ce qu'ils les ont manipulés?", énumère le médecin de la SUVA.

L'acharnement de la deuxième génération

En France, la situation est abordée différemment. Un dialogue entre le patronat et les syndicats a permis aux malades d'être reconnus plus facilement.

La Suisse devrait s'en inspirer, estime François Iselin, président du Comité d'aide et d'orientation des victimes de l'amiante (CAOVA). Tournant les feuilles d'un classeur rempli de procédures contre la SUVA, il dénonce le parcours du combattant imposé en Suisse, qui perdure parfois après la mort d'un proche. "Certaines des personnes qu'on a défendues ont gagné. Mais c'est avec l'acharnement de la deuxième génération de la victime. Ce sont surtout des jeunes femmes, qui se sont battues pour exiger réparation."

Certaines des personnes qu'on a défendues ont gagné. Mais c'est avec l'acharnement de la deuxième génération de la victime.

François Iselin, président du Comité d'aide et d'orientation des victimes de l'amiante (CAOVA).

Quelques succès devant la justice, mais pas assez, selon François Iselin. Et les combats à venir s'annoncent d'autant plus difficiles pour les malades que la CAOVA se trouve en difficulté financière. L'association vient d'envoyer une série de lettres à ses membre pour leur annoncer qu'ils devront désormais se battre seuls.

Cyntia Gani et Feriel Mestiri

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