RFFA: un seul vote pour deux réformes majeures

Grand Format

Keystone

Introduction

Le 19 mai, les Suisses se prononceront sur la RFFA, le grand projet liant la réforme de la fiscalité des entreprises au financement de l'AVS. Cette solution imaginée par le Parlement vise à résoudre deux des sujets les plus chauds de cette dernière législature. Zoom sur les principaux enjeux de cette votation.

Chapitre 1
La RFFA, qu'est-ce que c'est?

Keystone - Michael Buholzer

En février 2017, les Suisses refusaient la troisième réforme de l'imposition des entreprises (RIE III). Quelques mois plus tard, ils rejetaient également la réforme Prévoyance vieillesse 2020 (PV 2020). Face à ce double non, le Parlement, sous l'impulsion du PLR, du PDC et du PS, a élaboré un paquet regroupant à la fois la fiscalité des entreprises et le financement de l'AVS (RFFA).

1 - Fiscalité des entreprises

D'une part, le projet RFFA vise à créer un système fiscal pour les entreprises qui soit à la fois attractif et conforme aux normes internationales. En effet, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l'Union européenne dénoncent depuis longtemps les privilèges fiscaux accordés à certaines grandes entreprises internationales. La Suisse figure actuellement sur la liste grise des paradis fiscaux de l'UE et Bruxelles menace de la placer sur la liste noire si elle ne modifie pas ses pratiques.

>> Lire : L'UE publie une nouvelle liste noire des paradis fiscaux, sans la Suisse

Les grandes lignes du volet fiscal de la RFFA sont les mêmes que celles de la RIE III. Quelques adaptations ont néanmoins été introduites, notamment une hausse de la part des bénéfices qui ne peut pas échapper à l'impôt et de l'impôt sur les dividendes. De plus, la très controversée déduction des intérêts notionnels - aussi appelée déduction pour autofinancement - a été fortement restreinte. Au final, les pertes fiscales prévues sont de l'ordre de deux milliards de francs, contre au moins 2,7 milliards de francs pour la RIE III.

Parallèlement, les cantons ont prévu de baisser de manière significative leur taux d'imposition des entreprises, dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme (voir plus bas).

2 - Financement de l'AVS

L'autre volet de la RFFA concerne la prévoyance vieillesse. Il s'agit de contrebalancer les pertes occasionnées par la réforme de la fiscalité par un financement additionnel de l'AVS, et ce dès l'entrée en vigueur du nouveau régime fiscal prévue en 2020. Ces versements ont été imaginés comme une "compensation sociale" à l'allègement fiscal des entreprises. Ils se monteraient à quelque deux milliards de francs par année: 800 millions à la charge de la Confédération et 1,2 milliard partagés à parts égales entre les entreprises et les travailleurs, sous la forme d'une hausse des cotisations salariales.

>> Les explications de Linda Bourget :

Le texte de la RFFA, soumis à votation le 19 mai. Linda Bourget détaille le projet fiscal.
19h30 - Publié le 23 avril 2019

Que disent les sondages?

Le premier sondage gfs.bern pour la SSR, publié le 12 avril, donnait le oui en tête des intentions de vote. Selon cette enquête, 54% des personnes sondées ont déclaré vouloir "certainement" ou "plutôt certainement" voter en faveur du projet. En revanche, 37% des participants étaient "contre" ou "plutôt contre" le texte.

Le sondage montrait une différence entre les régions linguistiques, avec un écart de huit points de pourcentage entre la Suisse alémanique (52% de oui) et la Suisse romande (60%). Au Tessin, ce soutien s'élevait à 53%.

>> Lire : Oui à RFFA et à la révision de la loi sur les armes, selon un sondage SSR

Chapitre 2
Qu'est-ce qui va changer pour les entreprises?

Keystone - Christian Beutler

Si la RFFA est acceptée le 19 mai, fini les "cadeaux fiscaux": il ne sera plus possible d'accorder des privilèges à certaines entreprises. Dans un canton donné, toutes les sociétés, locales ou internationales, devront par conséquent être taxées de la même manière.

Les perdants, les gagnants et les autres

Les 24'000 sociétés qui bénéficient actuellement d'un statut spécial sont a priori les perdantes de cette réforme de la fiscalité. Leur taux d'imposition va significativement augmenter pour s'aligner sur celui des autres entreprises. Mais pour ne pas les faire fuir, la plupart des cantons ont d'ores et déjà prévu de baisser leur impôt sur le bénéfice.

En outre, de nouveaux outils permettant aux grandes entreprises de réduire leur facture d'impôt seront introduits. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment une importante déduction des dépenses de recherche et développement ou une imposition réduite des recettes liées aux brevets. Ces mesures expliquent en grande partie le soutien affiché par les multinationales au projet.

A l'inverse, les petites et moyennes entreprises suisses sont les gagnantes du projet, puisqu'elles bénéficieront de la baisse de la charge fiscale décidée par les cantons. Reste que la grande majorité des centaines de milliers de sociétés que compte la Suisse dégagent peu de profits, voire aucun. Pour celles-ci, la réforme n'aura donc quasi aucun impact.

>> Le reportage de Rouven Gueissaz :

Votations fédérales: l'enjeu de la fiscalité des entreprises.
19h30 - Publié le 23 avril 2019

Chapitre 3
La gauche divisée

Keystone - Peter Klaunzer

Tous les partis gouvernementaux, sauf l'UDC, ainsi que les milieux économiques font campagne en faveur de la RFFA. Ils y voient une solution pragmatique au problème posé par le double refus de la troisième réforme de la fiscalité des entreprises et de la Prévoyance vieillesse 2020. Pour eux, ce projet est équilibré et est susceptible de séduire la majorité de la population. Pas totalement convaincue, l'UDC laisse pour sa part la liberté de vote. Pour autant, le projet est loin de faire l'unanimité.

Gauche contre gauche

La principale opposition se situe à gauche, emmenée par les Verts, la gauche radicale et le Syndicat des services publics (SSP). Ceux-ci dénoncent un projet qui "attise le dumping fiscal intercantonal et international". Selon eux, les pertes fiscales induites par la RFFA entraîneront des coupes dans les soins ou dans la prise en charge des personnes âgées. Quant au financement supplémentaire de l'AVS, jugé bienvenu, il ne constitue pas - selon eux - une compensation sociale.

>> Lire : Une alliance de gauche en campagne contre la réforme fiscale RFFA

La RFFA déchire le camp rose-vert. A l'instar du conseiller fédéral Alain Berset, chargé du dossier, le Parti socialiste défend fermement le projet. Mais il est tiraillé à l'interne: une forte minorité des délégués socialistes a plaidé pour le rejet du texte, tandis que la section genevoise et la section jeunes ont rallié le camp du non. La division règne aussi dans les rangs syndicaux, Travail.Suisse prônant le oui et l'Union syndicale suisse (USS) laissant la liberté de vote.

>> Le reportage de Loïs Siggen-Lopez :

La RFFA divise les partis de gauche. Certains défendent le compromis, d'autres craignent une baisse des prestations sociales.
19h30 - Publié le 24 avril 2019

Un non de droite

Une partie du camp bourgeois est aussi opposée à la RFFA. La fronde est issue des sections de jeunesse du PLR, de l'UDC, du PBD et des Vert'libéraux. Pour eux, ce paquet est une "insulte à la démocratie" car il est impossible d'approuver un volet de la réforme tout en rejetant le second. Leur critique vise en particulier le financement additionnel de l'AVS, qui ferait obstacle à la vaste réforme de la prévoyance vieillesse qu'ils appellent de leur voeux.

>> Lire : Partis bourgeois et économie au front pour défendre le projet fiscal RFFA

>> Le débat d'Infrarouge sur la RFFA :

Spécial votation – Réforme fiscale: tous gagnants?
Infrarouge - Publié le 17 avril 2019

Chapitre 4
Deux milliards pour l'AVS. Et après?

Keystone - Gaëtan Bally

Le vieillissement de la population pose un défi à notre système de prévoyance. En Suisse, il y a de moins en moins d'actifs pour financer les rentes. Depuis 2014, les recettes de l'AVS - hors rendement des placements - sont inférieures aux dépenses. Et avec l'arrivée prochaine des baby-boomers à la retraite, la situation va encore empirer.

Selon les calculs de l'Office fédéral des assurances sociales, la lacune de financement cumulée pour les années 2021 à 2030 sera de près de 53 milliards de francs. La RFFA promet d'injecter quelque 2 milliards de francs supplémentaires par année dans l'AVS. La lacune de financement serait réduite d'environ 30 milliards pour se monter à 23 milliards de francs en 2030.

La retraite des femmes à 65 ans?

Même si la RFFA était acceptée, des réformes sont donc encore nécessaires. Pour le Conseil fédéral, l'équilibre passe par une augmentation de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans et par une hausse de 1,5 point du taux de TVA. Ce scénario sera adapté après la votation du 19 mai. En cas de oui, la majoration de la TVA sera sans doute moins importante.

L'augmentation de l'âge de la retraite des femmes est le point le plus sensible. C'était déjà l'une des raisons majeures de l'échec de la Prévoyance vieillesse 2020 dans les urnes en septembre 2017. Pour la droite, il s'agit d'une mesure de bon sens pour équilibrer les comptes de l'AVS dans un contexte de vieillissement de la population. La gauche, elle, ne veut pas en entendre parler sans une réelle égalité salariale. Elle préfère ainsi miser sur une hausse des cotisations salariales.

>> Les explications de David Berger :

Même si la réforme fiscale liée au financement de l'AVS était votée le 19 mai, une réforme en profondeur de l'assurance-vieillesse serait nécessaire
19h30 - Publié le 26 avril 2019

Chapitre 5
La sous-enchère fiscale des cantons

Keystone - Alexandra Wey

Derrière le débat sur la RFFA, on retrouve la sous-enchère fiscale à laquelle se livrent les cantons, sur fond de concurrence fiscale internationale. Ces dernières années, les entreprises ont en effet bénéficié en Suisse d'un allégement significatif de la fiscalité. De 2007 à 2019, le taux moyen d'imposition du bénéfice des sociétés est passé de 20,76% à 17,06%, soit une baisse de 3,7 points, selon la dernière édition du Swiss Tax Report du cabinet d'audit et de conseil KPMG.

>> Les explications de Loïs Siggen-Lopez :

Les cantons prévoient de baisser le taux d'imposition des entreprises en cas d'acceptation de la RFFA le 19 mai
19h30 - Publié le 28 avril 2019

Après des années de quasi-stabilité, la tendance est repartie à la baisse sous l'impulsion des cantons de Vaud et de Bâle-Ville, qui ont abaissé leur taux d'imposition de 23,53% à 14% pour le premier et de 24,81% à 13,04% pour le second. Les disparités intercantonales restent néanmoins importantes, allant de 12,32% à Lucerne à 24,16% à Genève. Mais la mise en oeuvre genevoise de la RFFA, soumise elle aussi au peuple le 19 mai, prévoit de faire passer ce taux à 13,99%.

La mise en oeuvre de la RFFA sur les rails

Un oui à la RFFA au niveau fédéral aurait pour conséquence d'accentuer, dès l'an prochain, le mouvement de baisse de la fiscalité des entreprises. A l'instar de Genève, plusieurs cantons ont déjà achevé les débats parlementaires sur la mise en oeuvre du projet et la grande majorité d'entre eux (hormis Berne, Appenzell Rhodes-Intérieures et Vaud) prévoient de le faire d'ici la fin de l'année.

Tous ou presque ont prévu de réduire l'impôt sur le bénéfice des entreprises, selon un décompte de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (CDC). Seul le canton de Lucerne planifie une légère hausse de 12,32% à 12,6%, tandis que Berne, où un projet de baisse de la fiscalité vient d'être rejeté par les citoyens, et Argovie ne comptent rien changer pour le moment.

(Source: Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances, état au 05.04.2019)