Alors que l'on célèbre cette année le 70e anniversaire de la fondation du Conseil de l'Europe, l'un des points forts de cette 2e édition est une exposition consacrée à Denis de Rougemont à l'Université de Neuchâtel. C'est un hommage rendu à l'écrivain neuchâtelois, militant pro-européen qui a défendu une Union européenne basée sur le modèle helvétique: "La Suisse détient la solution pour l’Europe de demain", disait-il le 8 novembre 1971 dans une interview à la Télévision suisse romande.
L'erreur stratégique des Européens
Dans les années 50, les pères fondateurs de l’UE s’étaient appuyés sur l’économie pour rapprocher les Etats-Nations. Mais pour Denis de Rougemont, cette stratégie n’était pas la bonne: "Avant tout cela, il faut d’abord entretenir l’idée de l’Europe. Qu’est-ce que l’Europe signifie humainement, pour tous les Européens", expliquait-il.
Le Neuchâtelois avait fondé le Centre européen de la culture à Genève en 1950, puis l’Institut universitaire d’études européennes associé à l’Université de Genève en 1963 avec comme principal objet d'étude le fédéralisme. Il le dirigera jusqu’à sa retraite.
Elargir le fédéralisme aux autres
Pour Denis de Rougemont, la Suisse devait expliquer son fonctionnement - une question de survie pour son système politique: "Je suis profondément persuadé qu’on ne peut pas maintenir le fédéralisme vivant dans un seul pays (...) Si nous arrêtons les processus du fédéralisme à nos frontières, nous finirons par être forcés de devenir un petit Etat centralisé comme tous les autres qui nous entourent. Notre seul espoir de survie comme Suisse, c’est d’étendre la formule suisse, de proche en proche, à toute l’Europe."
Une sensibilité écologique pionnière
L’engagement de Denis de Rougemont pour l’écologie est moins connu. Pourtant très tôt, dès les années 1970, il avait pris conscience - notamment aux Etats-Unis - des problèmes liés à la pollution et à l’épuisement des ressources.
Pour son petit-fils Philippe de Rougemont, il a légitimé le discours écologiste en Suisse, surtout depuis sa rencontre avec Franz Weber. "Il était connu, un côté formé, bourgeois, dans le bon sens du terme et il était antinucléaire, contre le Concorde, parce qu’il est bruyant et rapide alors qu’il faut être lent et silencieux", raconte-t-il dans le 19h30.
Un homme "un peu ailleurs, un peu absent"
Philippe de Rougemont se souvient d’un homme "un peu ailleurs, un peu absent" (...) On parlait d’un sujet, il faisait un pont vers un autre. Quelqu’un qui était toujours occupé par une pensée. Il s’intéressait plutôt à l’idée d’une communauté qu’à la communauté elle-même, par exemple à la famille (…) Il avait la capacité à être à l’aise avec des inconnus, des visites, et puis à être un peu distant avec ses proches, des collègues, des voisins, la famille." Mais pour lui, son grand-père était avant tout un écrivain qui a su penser au-delà de son époque tout en restant réaliste.
Denis de Rougemont s’est opposé au travail à la chaîne, au fordisme et au communautarisme abrutissant. Il était un défenseur de l’individualité, en politique comme dans le couple: "Il faut assumer les antinomies, maintenir les tensions, parce que c’est la condition-même de la vie." Le diable pour lui était l’indifférence: "La décadence d’une société commence quand l’homme se demande: que va-t-il arriver? au lieu de dire que puis-je faire?"
L’intégralité de l'œuvre de Denis de Rougement sera disponible en ligne d’ici la fin de l’année.
Julien Chiffelle/oang