Pour le professeur en science politique à l’Université du Québec à Montréal, les complaintes masculines face aux revendications féminines n’ont pas attendu les dernières décennies pour éclore. De l'écrivain et homme politique Caton l’Ancien, en 195 avant J.-C., au polémiste français Eric Zemmour, les hommes se sont toujours dit en crise. "C’était une de mes grandes surprises. Mes recherches, surtout à partir des 15e et 16e siècles, m’ont permis de découvrir que les hommes sont régulièrement en crise de la masculinité. Ils estiment que les femmes prennent trop de place, qu’il n’y en a plus pour les hommes".
Ce phénomène n’a pas de frontière à en croire Francis Dupuis-Déri: "Les études montrent que partout sur la planète, y compris dans les trois grandes religions, mais aussi en Amérique latine, au Maghreb, en Asie, on entend ce discours. Je pense que ça jette vraiment un doute sur ce type de propos, qui m’apparaît comme rhétorique".
"Ridicule, risible et dangereux"
"Il faut bien le dire, le discours de la crise de la masculinité est tout à la fois ridicule, risible, absurde et faux, scandaleux et dangereux", tranche sans fioritures le politologue canadien.
Et de préciser ses dires: "C'est ridicule et absurde, car lorsqu'on remonte dans le temps et qu'on analyse nos sociétés prétendument égalitaires, on se rend compte que c'est loin d'être le cas. On entend souvent ces plaintes au travail, ou dans l'économie. Mais si on observe bien, les personnes prenant des décisions économiques sont majoritairement des hommes".
Francis Dupuis-Déri souligne que ces discours de crise de la masculinité sont scandaleux et dangereux, car en réalité ce n'est pas un discours psychologique ou purement émotif d'une sensibilité masculine.
"Ça vise les femmes qui essaient de vivre la vie qu'elles veulent et qui ne se conforment pas à la place qu'on veut les voir occuper dans la société. C'est une façon de leur dire: 'restez à votre place, laissez-nous nos prérogatives, sinon on fait une crise'. Je trouve que c'est un peu puérile comme réaction".
Grève du 14 juin
Interrogé sur la grève des femmes du 14 juin prochain en Suisse, en particulier sur la question de laisser les hommes de côté durant la manifestation, Francis Dupuis-Déri tempère le débat: "C'est la non-mixité choisie, ce sont les mouvements de femmes. Tous les mouvements sociaux ont des moments de ce type. Par exemple, on n'invite pas le patron aux réunions syndicales, on le voit plus tard. Mais la grève ne dure qu'une journée, cela peut permettre aux hommes de prendre le temps de réfléchir à ce qu'ils pourraient faire pour favoriser l'égalité et la liberté des femmes.
Propos recueillis par Ludovic Rocchi
Adaptation web: Jérémie Favre