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Les femmes ne sont pas assez présentes dans les médias suisses

Arian Dayer et Valérie Vuille. [RTS - Antoine Droux]
Regards croisés sur la place des femmes dans les médias / Médialogues / 22 min. / le 18 mai 2019
Un constat qui n'est pas nouveau mais qui se fait pressant un mois avant la grève des femmes du 14 juin. En 2015, 25% des personnes représentées dans les médias étaient des femmes. Et aujourd'hui, on ne sait pas: le prochain monitorage mondial des médias ne sera publié qu'en 2020.

La question médiatique figure dans le manifeste de la grève féministe et des femmes du 14 juin 2019. Quelle place y a-t-il pour les femmes dans les médias? Et dans les rédactions? Comment les médias peuvent-ils changer leurs modes de fonctionnement, élaborés depuis des décennies par des hommes?

>> Lire : "La grève du 14 juin sera une grève de revendications très concrètes"

En 2015, 25% des personnes représentées dans les médias étaient des femmes, selon equality.ch. Mais des signaux faibles, comme le baromètre de la parité du quotidien Le Temps, montrent que cette proportion ne fera sans doute pas d'avancée significative d'ici l'an prochain.

"Votez femmes"

Autre signe des temps, les femmes socialistes ont lancé vendredi un site internet pour accroître leur présence médiatique en cette année électorale. On y lit que les médias oublient souvent qu'il y a des femmes en politique et aussi que – quand les journalistes en invitent – ce sont "n'importe lesquelles": cela expliquerait le faible nombre de femmes élues à Berne, selon les instigatrices du site votezfemmes.ch: "C'est une initiative très intéressante qui permet de visibiliser une thématique, de donner des outils", commente Valérie Vuille, directrice de DécadréE, une association qui travaille pour l'égalité dans la représentation médiatique.

"Il faut avoir conscience que la problématique de la représentativité des femmes dans les médias est complexe et ce n'est pas avec une baguette magique qu'on va la résoudre. C'est avec des outils complémentaires, avec une vraie remise en question, qu'on va arriver à une plus grande représentativité des femmes dans les médias", souligne-t-elle au micro de Médialogues, sur la RTS.

>> Les explications de Martine Docourt (PS/NE) dans Forum sur votezfemmes.ch :

Martine Docourt, co-présidente des femmes socialistes suisses, candidate au Conseil des Etats neuchâtelois. [Keystone - Jean-Christophe Bott]Keystone - Jean-Christophe Bott
Martine Docourt explique le principe du site Votezfemmes.ch / Forum / 4 min. / le 18 mai 2019

Une sous-représentation chronique des femmes

Pour arriver à leur conclusion, les femmes socialistes se sont basées sur le nombre d'invité.e.s dans les principales émissions politiques de la SSR comme Arena ou Infrarouge, par exemple.

Elles citent aussi une étude de l'Université de Fribourg effectuée lors des élections fédérales de 2015 notant que tous médias confondus – TV, radio, presse, internet – les candidates avaient eu nettement moins d'exposition médiatique que les candidats à l'époque: "Le problème existe vraiment", affirme Ariane Dayer, rédactrice en chef du Matin dimanche et de la rédaction Tamedia – une rédaction qui fournit des contenus à 24 Heures, la Tribune de Genève et au quotidien dominical. "Le quotidien Le Temps dit être à 30% de représentation féminine dans ses pages: je pense qu'on est un peu tous à cette moyenne-là. C'est insuffisant. Il faut qu'on bosse pour l'accroître, c'est sûr".

Sentiment d'imposture

Pour elle, il est important de ne pas seulement travailler au niveau quantitatif, mais aussi au niveau qualitatif: "Les femmes expertes, sur tous les thèmes, devraient être plus présentes dans nos pages. Mais ce n'est pas si simple: elles sont comme nous – toutes les femmes – un peu encombrées par un sentiment d'imposture. Les hommes l'ont aussi, mais ils savent mieux s'en accommoder que nous", analyse la journaliste. "Les experts hommes, ils sont experts très largement, pour tout". Ariane Dayer remarque qu'une femme se limitera bien plus facilement, estimera avoir une compétence plus restreinte: "Les femmes doivent oser, 'prendre les épaules'", insiste-t-elle.

>> Regarder "Sans sucre ajouté", la chronique de Rinny Gremaud: "Les femmes scandaleusement sous représentées dans les médias: à qui la faute?" :

Sans sucre ajouté (vidéo) – Les femmes scandaleusement sous représentées dans les médias: à qui la faute?
Sans sucre ajouté (vidéo) – Les femmes scandaleusement sous représentées dans les médias: à qui la faute? / La Matinale / 3 min. / le 6 mars 2019

"Cela montre que les discriminations sont systémiques", renchérit Valérie Vuille. "Les médias, à l'interne, sont dans ce système-là, mais ils sont aussi tributaires de la société. Ils ont un rôle à jouer. C'est aussi une question de génération, de formation et d'éducation: ça va prendre du temps".

Des progrès à faire pour rendre compte des violences sexistes

L'association DécadréE, créée en 2016, sort les premiers chiffres sur le traitement médiatique des violences sexistes en Suisse romande. Et le constat n'est pas brillant. Cette veille ne donne pas la moyenne aux onze médias romands analysés, avec la note de 3 sur 6.

DécadréE: "Le traitement médiatique des violences sexistes en Suisse romande"

L'association a lancé une veille et a scruté 211 articles parlant du traitement des violences faites aux femmes. Bien trop souvent, les actes violents sont minimisés ou l'agresseur est excusé. La façon de rendre compte de ces événements est bien pire dans la rubrique "faits divers" que dans les pages "société" (voir le détail dans le document ci-dessus).

Valérie Vuille donne l'exemple d'une femme ayant subi des violences gynécologiques de la part de son mari... l'article qui en a parlé a titré en parlant d'un "fâcheux incident". Un type de formulation qui doit être banni, contre lequel se bat DécadréE: "On réagit et on prévient les rédactions quand on constate qu'un article est vraiment problématique", affirme Valérie Vuille.

>> Lire : Comment le tsunami #MeToo a changé notre vision du monde

L'association a publié un manifeste pour un meilleur traitement médiatique des violences sexistes, ainsi que des recommandations, et une liste de personnes ressources pour en parler dans les médias.

Valérie Vuille souligne aussi que l'écriture inclusive est importante, car "la langue est l'outil qui nous permet de penser et de construire". Les médias sont le reflet de la société: "On a un rôle d'exemplarité  dans la presse, surtout quand c'est écrit. On a un rôle d'exemplarité tant qu'il n'y a pas égalité des salaires", conclut Ariane Dayer.

Entretien radiophonique: Antoine Droux

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

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