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En Suisse aussi, le suicide au travail est un tabou

Les chercheurs pensent désormais le suicide dans son contexte socioprofessionel. [DR]
Une entreprise peut-elle être coupable du suicide de ses employés? / La Matinale / 3 min. / le 27 mai 2019
En plein procès France Télécom sur une vague de suicides dans l'entreprise, qu'en est-il en Suisse? Le phénomène existe, mais il est très peu documenté. L'épuisement professionnel est reconnu comme un facteur de risque.

Une entreprise peut-elle être rendue coupable du suicide de ses employés? Entre 2007 et 2010, 19 employés de France Télécom se sont donné la mort. Depuis début mai, la direction d'alors est jugée pour harcèlement moral.

Si on a longtemps associé le suicide uniquement à un problème de santé mentale, aujourd'hui, les médecins et les chercheurs s'intéressent davantage au contexte socioprofessionnel de ceux qui passent à l'acte car certaines variations statistiques restent inexpliquées, comme des différences entre régions.

>> Regarder le témoignage d'un employé de France Télécom ayant tenté de mettre fin à ses jours :

France: les suicides en entreprises suscitent un effroi grandissant. Témoignage d'un employé de France Télécom ayant tenté de mettre fin à ses jours
France: les suicides en entreprises suscitent un effroi grandissant. Témoignage d'un employé de France Télécom ayant tenté de mettre fin à ses jours / 19h30 / 2 min. / le 8 décembre 2009

Mais qu'en est-il en Suisse? On sait que les agriculteurs forment une catégorie au taux de suicide plus élevé que le reste de la population. Pour le reste, on doit disposer prochainement de premiers chiffres. L'Institut universitaire romand de santé au travail vient de clore une vaste étude sur le sujet.

Si la Suisse n'a jamais connu une affaire comme France Télécom, les spécialistes interrogés ont connaissance de cas individuels et isolés où le travail a fait partie des raisons du passage à l'acte.

La souffrance au travail

Vincent Lecourt est psychiatre à Genève. L'un de ses collègues s'est donné la mort en 2013 alors qu'il travaillait en hôpital. Un texte trouvé à côté du corps évoquait la piste professionnelle. Suite à ce drame, il a mené l'enquête auprès de 25 soignants. Il l'a racontée dans son ouvrage "Le burnout des soignants, à la recherche de sens". "Il y a un certain nombre de personnes qui nous ont dit avoir des souffrances vraiment graves, qu'ils mettaient en lien avec le travail. Un tiers de ces personnes ont déclaré avoir eu des idées suicidaires."

Des personnes qui ne sont pas passées à l'acte. Mais l'épuisement professionnel est reconnu comme un facteur de risque. Mal suivi, il peut conduire à commettre l'irrémédiable.

Les entreprises ont encore du chemin à faire pour lever le tabou autour du suicide et du burn-out, qui peut dans certains cas être un facteur déclencheur du suicide.

Noelia Miguel, psychologue d'urgence

Pourtant, il n'y a jamais eu de procès intenté à une entreprise en Suisse pour suicide, car bien souvent le suicide est multifactoriel. Il est extrêmement difficile d'imputer l'unique responsabilité à l'employeur. Noelia Miguel est psychologue d'urgence. Elle intervient en entreprise notamment suite à un suicide "Dans les cas que j'ai accompagnés, souvent la famille savait que, par ailleurs, c'était compliqué dans la vie privée. Sans penser à un passage à l'acte. Les familles sont tellement dans la douleur qu'elles n'ont pas la force d'intenter un procès ou de questionner l'entreprise. Mais il est possible qu'un jour quelqu'un intente un procès en disant qu'il est clairement établi que c'est en lien avec le travail."

Que faire?

Suite à un tel événement, est-ce que les entreprises se remettent en question? Très souvent, elles consolident les mesures de prévention de ce qu'on appelle les risques psychosociaux. Il faut savoir que le Code des obligations impose à l'employeur de garantir la santé morale, physique et psychique de son personnel.

Swisscom a connu le décès tragique de son directeur en 2013. Après le drame, l'entreprise a renforcé les moyens: "Nous avons par exemple un contrôle médical pour nos cadres et collaborateurs, affirme Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom. Pour les cadres nous avons ajouté un volet psychique pour ceux qui le désirent." L'entretien est anonyme.

Les résultats issus de l'étude menée par l'Institut universitaire romand de santé au travail devraient aussi servir de base pour améliorer la prévention des suicides en lien avec le monde professionnel.

Céline Fontannaz/PW

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Chiffres du suicide en Suisse

En 2016, 1044 personnes se sont donné la mort en Suisse. Sans compter les suicides assistés. Cela en fait la quatrième cause de mortalité précoce, après le cancer, les maladies cardiovasculaires et les accidents. Les familles sont durement touchées. En moyenne, une personne qui se suicide laisse entre quatre et six parents ou proches.

Pour Laurent Michaud, médecin-psychiatre et responsable de l’Unité des urgences psychiatrique au CHUV, depuis les années 90, le taux de suicide a massivement diminué en Suisse, "cela reste cependant un problème majeur de santé publique. Les suicides représentent 3-4 fois plus d’années de vie perdues que les accidents de la route par exemple. Les moyens alloués à sa prévention restent modeste en comparaison à d’autres problèmes de santé publique".

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