L'avenir des relations entre la Suisse et l'UE reste incertain. A l'issue de la consultation nationale, le Conseil fédéral renonce à signer dans l'immédiat le projet d'accord-cadre négocié. Il veut d'abord demander des précisions à Bruxelles.
Le gouvernement maintient son "appréciation globalement positive" du projet d'accord, mais il veut tenir compte de trois préoccupations des acteurs politiques et économiques suisses. Elles concernent les aides d'Etat, la protection des salaires et la directive sur la citoyenneté européenne qui élargit l'accès aux prestations sociales.
Dans une lettre adressée au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le gouvernement insiste sur sa volonté de consolider et développer les relations bilatérales, mais il relève qu'il doit avoir le soutien de la population. Or, une votation sur l'accord-cadre est quasi certaine.
Voter sur la libre circulation
Le gouvernement met aussi en avant ses prochaines échéances, en particulier la votation sur l'initiative de l'UDC pour résilier la libre circulation des personnes qui n'aura pas lieu avant 2020. Vendredi, il a d'ailleurs transmis au Parlement le message appelant à rejeter un texte qui remettrait en cause toute la voie bilatérale.
En attendant, le Conseil fédéral se dit prêt à "engager le dialogue" avec l'actuelle Commission européenne. Avant de transmettre l'accord institutionnel au Parlement, il estime nécessaire de clarifier que les dispositions sur les aides d'Etat n'auront pas d'effet sur l'accord de libre-échange de 1972 notamment.
Il faut aussi apporter "une sécurité juridique sur le niveau de protection des salaires suisses". Le moyen d'y arriver n'est pas encore clair. Cantons et partenaires sociaux seront associés à la recherche d'une solution. Le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis s'est réjoui qu'ils soient à nouveau d'accord de tirer à la même corde.
Enfin, la Suisse précise qu'une éventuelle reprise de la directive sur la citoyenneté européenne ne pourra se faire qu'au moyen de négociations entre les parties. Aucune disposition de l'accord institutionnel ne pourra être interprétée comme une obligation pour la Suisse de reprendre ladite directive et ses développements.
Pas d'échéance
Le gouvernement n'a pas fixé de date butoir pour les discussions avec Bruxelles. Idéalement, ce serait bien de les conclure sous la présidence de Jean-Claude Juncker (voir encadré), mais l'important est de parvenir à des solutions satisfaisantes pour les deux parties sur les trois thèmes, a souligné Ignazio Cassis. Si ce but est atteint, "la Suisse signera l'accord".
Le texte devra réunir une majorité dans les urnes, a relevé le ministre de l'économie Guy Parmelin. Le Conseil fédéral doit s'efforcer de préserver l'indépendance et la souveraineté de la Suisse, a répété trois fois le conseiller fédéral UDC.
Discussions délicates
Les discussions avec Bruxelles seront délicates. L'UE, qui réclame l'accord depuis dix ans afin de garantir une meilleure harmonisation des droits suisse et européen, a exclu toute renégociation. Contacté par téléphone vendredi matin, le commissaire à l'intégration européenne Johannes Hahn s'est dit prêt à entamer des discussions, selon Ignazio Cassis.
Si l'UE perd patience, la Suisse risque de perdre la reconnaissance de l'équivalence de sa réglementation boursière qui échoit à la fin de ce mois. Mais le Conseil fédéral s'attend à ce qu'elle soit prolongée à cause de son engagement pour la voie bilatérale et du double "oui" aux votations fédérales avec des enjeux européens, a précisé la ministre de justice et police Karin Keller-Sutter. La décision sur les bourses tombera d'ici à la troisième semaine de juin, a ajouté Ignazio Cassis.
Dans sa lettre, le gouvernement table aussi sur la poursuite des négociations dans d'autres domaines. Depuis janvier, une directive interne invite l'administration européenne à n'actualiser les accords bilatéraux d'accès au marché que si c'est dans l'intérêt de l'UE. L'instruction mentionne aussi des décisions d'équivalence, qui sont importantes pour les services financiers.
Réaction positive à Bruxelles
La Commission européenne voit positivement les déclarations du Conseil fédéral sur l'accord-cadre. "Il s'agit là d'une évolution globalement positive", a indiqué vendredi une porte-parole de l'institution.
La lettre va maintenant faire l'objet d'un examen attentif. La Commission européenne ne veut pas en dire plus pour le moment. La porte-parole a précisé que la lettre de la Suisse recevrait une réponse en "temps utile".
ats/jfe
Les partis satisfaits
Le PS et le PLR sont satisfaits de la décision du Conseil fédéral sur l'accord institutionnel avec l'UE. La voie bilatérale est ainsi préservée. Le Parti socialiste se réjouit des demandes de clarification de la Suisse dans le domaine de la protection des salaires et des conditions de travail. "Le niveau actuel des salaires en Suisse doit être maintenu", a indiqué vendredi le président Christian Levrat dans un communiqué. Cela nécessite la participation des partenaires sociaux, en particulier des syndicats.
En demandant des précisions sur les aides d'Etat, la protection des salaires et la directive sur la citoyenneté européenne, le Conseil fédéral envoie un signal positif fort à Bruxelles, écrit pour sa part le PLR. Cela correspond à ce qu'avait demandé la parti lors de la consultation. Un avis positif partagé par le PDC.
L'UDC qualifie elle de "demi-succès" le fait que le Conseil fédéral ait renoncé à signer l'accord-cadre. Mais elle estime que les clarifications demandées sont insuffisantes.
"La situation sera maintenue, voire détériorée"
Les récentes élections législatives ont changé la donne et fragmenté le paysage politique européen. Les socialistes et les conservateurs doivent maintenant composer avec la montée des Verts et des Libéraux, notamment en vue de la succession de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, qui quittera ses fonctions en octobre.
Interrogée vendredi dans La Matinale pour savoir si la Suisse doit se hâter de conclure son accord-cadre avant cette nomination, Joëlle de Sepibus, privat-docent à l'université de Berne en droit européen, estime que quel que soit le successeur, personne ne fera de cadeau à la Suisse: "Tous les candidats sont en place depuis longtemps à Bruxelles. Donc on peut s’attendre à ce que la position soit maintenue, voire détériorée, car sous Juncker on peut imaginer que le texte reste sur la table, mais après, on ne sait pas."
>> Voir l'interview intégrale de Joëlle de Sepibus dans La Matinale: