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Barrage d'Ilisu: la Suisse se retire du projet

Le barrage d'Ilisu menace la cité millénaire d'Hasankeyf.
Le barrage d'Ilisu menace la cité millénaire d'Hasankeyf.
La Suisse, l'Allemagne et l'Autriche ont annoncé mardi leur décision de se retirer du projet de construction du barrage d'Ilisu, en Turquie. Les agences de garantie des risques à l'exportation de ces trois pays estiment que leurs exigences en matière de protection du site n'ont pas été respectées.

Le délai accordé à la Turquie pour se conformer aux quelque 150
exigences expirait le 6 juillet à minuit. Malgré des améliorations
par rapport au projet initial, les conditions en matière
d'environnement, de biens culturels et de déplacement de
populations ne sont toujours pas remplies, a indiqué l'Assurance
suisse contre les risques à l'exportation (ASRE) mardi dans un
communiqué .

Lacunes majeures

Dans les trois domaines, il restait des lacunes majeures, malgré
les améliorations», a déclaré Sonja Kohler, porte-parole de l'ASRE
mardi à l'ATS. Par exemple pour les expropriations: «Selon le droit
turc, le dédommagement est fixé selon la valeur actuelle de la
propriété. Mais les standards internationaux veulent que les moyens
d'existence restent assurés.



La Turquie a affirmé qu'elle dédommagerait les populations
déplacées selon cette règle, mais aucune base légale ne le
garantit.» Quant aux entreprises suisses déjà engagées dans le
projet, elles sont tenues contractuellement de résilier les
contrats de fourniture, souligne Sonja Kohler. «Ces contrats
étaient liés à l'assurance qui se termine aujourd'hui. Bien sûr,
elles pourraient signer un nouveau contrat, mais sans
assurance.»

225 millions de francs

Pour la Déclaration de Berne, il
s'agit d'une «victoire de la raison et de la société civile». Dans
un communiqué conjoint avec la Société
pour les peuples menacés, l'organisation non-gouvernementale
félicite le Conseil fédéral et l'ASRE pour cette décision. Cette
décision donne l'espoir «que la responsabilité sociale et
écologique pèseront désormais plus lourd dans les décisions de
l'agence», ajoute la Déclaration de Berne.



Les agences de crédit à l'exportation avaient suspendu les
contrats de construction en décembre 2008 et donné un dernier délai
de six mois à la Turquie pour se conformer aux normes
internationales, condition à la réalisation du projet.



Dans un premier temps, la Confédération avait accordé des
garanties contre les risques à l'exportation à hauteur de 225
millions de francs aux quatre entreprises helvétiques - Maggia,
Colenco, Stucky et Alstom - impliquées dans ce projet. Berlin et
Vienne avaient également accordé des garanties similaires à leurs
sociétés.

Ankara ne renonce pas

Le projet, qui date des années 1980, s'est très rapidement
attiré les foudres des défenseurs de l'environnement et des
archéologues. Il doit aboutir au déplacement de 50'000 personnes et
ensevelir le site historique de l'ancienne Mésopotamie,
Hasankeyf.



Mais, malgré les menaces de retrait, le gouvernement turc a
annoncé mardi qu'il n'abandonnerait pas le projet. Ankara dénonce
une «décision politique» des créditeurs européens qui ont retiré
leur soutien. La Turquie affirme qu'elle a rempli 47 des 89
conditions posées dans le protocole de crédit, comme l'avait déjà
annoncé la semaine dernière le ministre turc de
l'Environnement.



La presse turque a en outre dernièrement rapporté que les
responsables du projet poseront les bases de la digue le 30 juillet
prochain.



ats/cht

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Nombreuses réactions

Le consortium suisse, allemand et autrichien engagé dans le chantier du barrage d'Ilisu en Turquie déplore la décision de Berne, Berlin et Vienne de mettre fin à la garantie aux exportations. Les conséquences pour les entreprises dépendent de ce que va décider la Turquie. "Tout est ouvert pour la suite,» a déclaré Alexander Schwab, porte-parole du consortium. Il part du principe que la Turquie poursuivra son projet. Mais le pays n'est probablement pas en mesure de construire seul le gigantesque barrage et la centrale électrique. Il devra donc collaborer avec des entreprises étrangères. Reste à savoir si le gouvernement turc se tournera vers des entreprises chinoises, russes ou indiennes.

Economiesuisse, l'association faîtière des entreprises suisses, déplore de son côté que la Turquie n'ait pas respecté dans une mesure suffisante les conditions liées aux contrats d'exportation. "L'Etat est propriétaire et organe de contrôle de l'Assurance contre les risques à l'exportation, il est donc normal qu'il tienne au respect des normes internationales", a déclaré Cristina Gaggini, directrice romande d'economiesuisse et membre du conseil d'administration de la SERV.

Non à Ilisu veut dire oui aux respect des standards sociaux et environnementaux et à la protection des minorités, estiment pour leur part les Verts suisses. L'arrêt du projet signifie aussi un refus de la privatisation de l'eau et d'un nouveau foyer de conflit au Proche-Orient, ajoute le parti écologiste mardi.

De son côté, le maire de la ville historique d'Hasankeyf a salué l'arrêt des garanties de crédit annoncé par Berne, Berlin et Vienne pour la construction du barrage d'Ilisu. "Nous ne voulons pas que Hasankeyf soit détruite", a-t-il déclaré. Le maire demande également la protection de la cité millénaire par l'UNESCO.

400 GWh par année

Le projet de barrage d'Ilisu se situe en Anatolie orientale. Il nécessite la construction d'une digue de près de 2 km de long et de 135 mètres de haut et doit alimenter une centrale électrique produisant près de 4000 GWh par an, soit quelque 6% à 8% de la consommation du pays. Le barrage visait également à améliorer la distribution d'eau potable, selon ses promoteurs.