En proposant une réglementation, le Conseil fédéral veut éviter
les abus et endiguer le "tourisme de la mort", a déclaré Eveline
Widmer-Schlumpf devant la presse. Exit et Dignitas aident
actuellement quelque 400 personnes à mettre fin à leurs jours
chaque année, dont près d'un tiers venant de l'étranger.
Divisé sur les solutions à apporter au problème, le gouvernement a
mis finalement deux variantes en consultation. La proposition
d'interdire l'assistance organisée au suicide, chère à Pascal
Couchepin - "c'est un projet de mort et moi je soutiens les projets
de vie" - n'a pas les faveurs de la majorité du collège.
Mort digne
Interdire cette pratique pousserait les organisations vers la
clandestinité, avec un risque majeur de dérives, a souligné la
ministre de la justice. "Au nom du droit à l'autodétermination et à
une mort digne", le gouvernement privilégie une législation stricte
à la prohibition.
La réglementation proposée se base sur une extension du code
pénal, avec des peines en cascade allant jusqu'à cinq ans de
prison. Les collaborateurs des organisations d'assistance au
suicide pourront aider une personne à mettre fin à ses jours pour
autant qu'elles respectent nombre de conditions.
Maladie incurable
La décision du
suicidant devra être exprimée librement et être "mûrement
réfléchie". En guise de preuve, le gouvernement exige deux avis.
Deux médecins indépendants de l'organisation devront attester l'un
que l'intéressé est capable de discernement, l'autre qu'il est
atteint d'une maladie physique incurable "dont l'issue sera fatale
à brève échéance". Mais pas question pour Eveline Widmer-Schlumpf
de préciser comment comprendre cette notion de "brève échéance", la
question étant du ressort du médecin, selon elle.
La nécessité de présenter deux avis médicaux séparés devrait
éviter les décisions impulsives et réduire le nombre de suicides de
personnes venues expressément de l'étranger, selon elle.
Le gouvernement a en outre exclu l'aide au suicide pour des
personnes atteintes de maladie chronique ne menant pas à la mort ou
d'une affection psychique. "Les soins palliatifs doivent permettre
à ces personnes de continuer à vivre dans la dignité", selon la
conseillère fédérale.
Ultime solution
Pour elle, "l'aide au suicide doit être la dernière solution".
Ainsi, celui qui accompagne le suicidant devra lui présenter des
alternatives. Le médicament utilisé pour amener la mort sera
prescrit par un médecin, qui aura posé un diagnostic et une
indication en vertu des devoirs et de l'éthique professionnels du
corps médical.
Il est impossible de cautionner des suicides avec de l'hélium ou
d'autres méthodes provoquant la souffrance, a dit Eveline
Widmer-Schlumpf en rappelant une pratique controversée de
Dignitas.
Le gouvernement veut en outre éviter que l'assistance organisée au
suicide ne devienne une activité orientée vers le profit. Il sera
interdit à celui qui accompagne le mourant d'accepter une
contre-prestation excédant la couverture des frais occasionnés par
sa prestation.
Enfin, l'organisation d'assistance au suicide et ses
collaborateurs devront établir une documentation complète sur
chaque cas, afin de faciliter une éventuelle enquête des autorités
de poursuite pénale. Le but est aussi de pouvoir contrôler le
financement de ces organismes, selon la Grisonne.
ats/lan
Un véritable serpent de mer
La question de l'aide organisée au suicide est un serpent de mer. Jusqu'ici, le Conseil fédéral a toujours justifié son refus de légiférer en affirmant qu'une réglementation de portée générale ne permettrait pas de répondre à toutes les questions délicates qui se posent dans chaque cas de figure.
En 2000 déjà, l'exécutif avait choisi le statu quo alors qu'il était censé trancher sur un rapport commandé par l'alors conseillère fédérale Ruth Metzler.
Les experts y recommandaient de dépénaliser même l'euthanasie active directe, afin de soulager des malades incurables de souffrances insupportables.
Malgré l'insistance du Parlement, Christoph Blocher n'a jamais voulu légiférer.
Sa successeure a finalement repris le dossier et a réussi à le soumettre aux milieux intéressés lors de la dernière séance de Pascal Couchepin au Conseil fédéral.
"Il m'avait fait promettre de boucler le dossier avant son départ, mais il a démissionné trop tôt", a plaisanté Eveline Widmer-Schlumpf.
Dignitias parle de référendum
Du côté des organisations d'aide au suicide, on est sceptique et très critique envers les deux variantes proposées. Dignitas brandit la menace du référendum, convaincu de l'emporter devant le peuple en cas de votation.
En supprimant l'aide au suicide pour les malades chroniques ou psychiques, "le Conseil fédéral privilégie les suicides solitaires sur des voies de chemins de fer ou depuis des ponts élevés", dénonce Dignitas. "C'est un affront pour toutes les personnes qui souffrent par exemple de sclérose en plaques ou d'autres maladies nerveuses graves".
Pour Exit, la restriction de l'aide au suicide proposée est "inacceptable". Cette disposition supprime pratiquement le droit des patients à l'autodétermination, estime Walter Fesenbeck, membre du comité directeur.
A gauche, on ne veut pas entendre parler d'une interdiction. Pour le PS et les Verts, le besoin existe clairement d'avoir un accompagnement professionnel dans la mort pour les personnes souffrant de maladies à l'issue fatale.
Les Verts estiment en outre que le projet de réglementation va trop loin.
Autre son de cloche du côté de l'Organisation suisse des patients. Sa présidente, Margrit Kessler, est d'avis qu'une restriction pour les personnes touchées par une maladie incurable et dont l'issue fatale sera à brève échéance est juste.
"Cela empêche l'accompagnement au suicide d'individus souffrant de troubles psychiques, ce qui est très délicat".
Les libéraux-radicaux (PLR) veulent analyser les deux variantes dans le détail avant de se prononcer.
Du côté de l'UDC, on estime qu'il n'y a pas besoin d'intervenir. "La réglementation actuelle suffit", estime le parti.