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"L'égalité de salaire n'est pas réalisée, c'est une bonne raison de faire grève"

L'invitée de La Matinale (vidéo) - Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale
L'invitée de La Matinale (vidéo) - Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale / La Matinale / 10 min. / le 14 juin 2019
Le 14 juin 1991, Ruth Dreifuss était l'une des grandes figures romandes de la grève des femmes, aux côtés de Christiane Brunner. Vingt-huit ans plus tard, elle explique dans La Matinale pourquoi la mobilisation reste nécessaire.

Le 14 juin 1991 à 7h32, la socialiste genevoise était pendue au téléphone pour savoir si le mouvement allait réellement être suivi. Le résultat semblait déjà dépasser ses attentes: "J'écoutais des téléphones qui venaient d'un peu partout en Suisse et qui annonçaient qu'il se passait quelque chose dans ce pays (...) On ne savait pas du tout si ça prendrait et, à partir de 6h00 du matin à peu près, on a commencé à recevoir des appels qui disaient "oui, on est là, oui, telle statue a tout d'un coup été vêtue de rose", se rappelle la première femme présidente de la Confédération.

Questionnée pour savoir si ce succès avait été à la base de sa réussite politique et notamment de son élection au Conseil fédéral en 1993, Ruth Dreifuss relativise, tout en évoquant un certain symbolisme: "Mon élection a vraiment été une surprise de dernière heure, donc il n'y avait rien de planifié mais effectivement (...) elle a aussi été le symbole de ce qu'on exigeait en 1991."

>> Le suivi de la journée de la grève des femmes : Les femmes dans la rue pour obtenir une égalité qui tarde à se concrétiser

Des avancées importantes mais insuffisantes

Pour Ruth Dreifuss, 1991 a surtout été "le déclencheur du sentiment qu'il fallait prendre les femmes au sérieux".

Pour elle, les avancées qui ont fait suite à ce mouvement inédit sont loin d'être négligeables mais restent insuffisantes: "On a changé beaucoup de choses dans le domaine des lois, en particulier la loi sur le divorce, le domaine des assurances sociales, l'AVS, avec, pour la première fois, la reconnaissance de l'autonomie du droit des femmes à leurs propres rentes, la reconnaissance du travail familial et puis enfin, l'assurance maternité, alors que le principe y était inscrit dans la Constitution depuis 60 ans (...) Donc oui, on a beaucoup progressé mais les mentalités sont plus lentes et la réalité dans les entreprises n'est pas celle que la loi et que la Constitution promettent", rappelle l'ex-politicienne genevoise.

"Je crois que les lois sont bien faites, mais c'est vraiment la pratique quotidienne qui ne satisfait pas", ajoute-t-elle.

Un constat qui, pour Ruth Dreifuss, suffit à justifier pleinement le mouvement de grève de vendredi: "l'égalité de salaire n'est pas réalisée et c'est une bonne raison de faire la grève".

Du chemin parcouru à celui qu'il reste à faire

Interrogée pour savoir si elle juge la prise de conscience des femmes suffisante, l'ex-conseillère fédérale socialiste se veut enthousiaste: "Je remarque avec intérêt que toutes les femmes qui disent qu'elles ne feront pas grève, disent qu'elles feront quelque chose et qu'elles comprennent bien les raisons de la colère (...) Je crois effectivement que la prise de conscience est très large".

"C'est important que les jeunes filles, les adolescentes et les jeunes femmes se rendent compte justement du chemin qui a été parcouru mais aussi du chemin qu'il reste à faire", insiste-t-elle.

Ruth Dreifuss constate en effet que parfois, certains s'étonnent que des droits qu'ils pensent dater du 19ème siècle ont en fait été acquis dans la deuxième partie du vingtième.

Harcèlement sexuel, une thématique désormais visible

L'année 2019 marque aussi certaines différences avec 1991. C'est notamment le cas du harcèlement sexuel et de la violence sexuelle faite aux femmes.

Pour Ruth Dreifuss, "la thématique est aussi vieille que le monde". Et de se rappeler ses années dans l'hôtellerie où l'on considérait les jeunes collaboratrices comme "un gibier à disposition des hommes".

Un thème qu'elle n'estime donc pas "nouveau" mais qui a surtout gagné en visibilité depuis le mouvement #Metoo: "Ce qui est également nouveau, c'est le sentiment pour les femmes que, effectivement, elles n'ont aucune raison de se sentir à disposition des hommes".

"Rien n'est jamais acquis"

Enfin, appelée à donner son analyse sur la situation des femmes par rapport à l'avortement, notamment dans certains Etats américains qui semblent revenir sur ce droit, Ruth Dreifuss souhaite mettre en garde: "Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni à la femme.. Mais le droit à l''interruption volontaire de grossesse a été une conquête longue, douloureuse et jalonnée de toute une série de souffrances féminines (...) Il est clair qu'aux Etats-Unis, la bataille fait rage et elle est cruelle du côté de ceux qui veulent nier aux femmes le droit de disposer de leur corps."

Un retour de manivelle qui pèse aussi sur l'Europe pour l'ex-conseillère fédérale: "Ces batailles sont arrivées en Europe. Elles ont eu lieu en Pologne, où une merveilleuse mobilisation féminine a fait reculer un gouvernement qui n'a pas l'habitude de reculer (...) Mais oui, je crois que c'est quelque chose qui peut revenir", conclut-elle.

>> Lire aussi : L'Etat de Louisiane va durcir à son tour le droit à l'avortement

Propos recueillis par Xavier Alonso

Adaptation web: Tristan Hertig

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