Le Cervin enneigé, "Salutations de Gruyères" ou les drapeaux qui flottent sur les quais du Léman, à Montreux ou à Genève... ce sont quelques-unes des vues qui séduisent les touristes de passage en Suisse. Mais envoyer une carte postale à ses proches est un geste qui a tendance à se perdre.
La société soleuroise Photoglob SA, plus grand éditeur de cartes postales en Suisse, l'atteste: ses ventes de l'an dernier ont atteint 4,5 à 5 millions contre 5 à 6 millions en 2013, soit une baisse d'environ 15%.
Le groupe Valora, qui vend des cartes postales touristiques dans 750 succursales K Kiosk, Press & Books et Tamoil, confirme que le nombre de ses points de vente proposant des cartes postales a baissé entre 2015 et 2018, de même que ses ventes, sans pour autant invoquer de chiffre. Pour expliquer cette diminution, Valora évoque les possibilités accrues d'envoyer des images via son smpartphone, mais aussi le fait que les points de vente se concentrent désormais davantage sur les articles de commodités.
Même constat chez certains kiosques indépendants ou boutiques de sites touristiques. L'une de celles interrogées par la RTS évoquait même une baisse des ventes plus de 20% en cinq ans.
Pas seulement la faute aux smartphones
"Nous avons souffert de la situation du marché, et pas seulement de l'essor de Whatsapp ou des applications qui permettent d'envoyer des cartes en ligne", nuance toutefois Gion Schneller, directeur commercial de Photoglob SA.
Il évoque notamment le fait que la plupart des points de vente appartiennent à de grands groupes comme Coop, Migros ou Valora, qui se détournent du secteur "non-food" dans leurs surfaces. Mais aussi le fait que les kiosques ne sont plus autorisés à avoir des tourniquets hors de leur surface dans les halls de gare, pour des raisons de sécurité. "Or, lorsqu'on propose des cartes postales dans une gondole (surface de vente murale, ndlr), cela marche moins bien que sur les tourniquets. C'est le cas pour la carte touristique, pas pour les cartes doubles", explique Gion Schneller.
Des voyages plus courts
Le directeur commercial de Photoglob insiste aussi sur le changement des habitudes de voyage. "Nous ne voyageons plus comme avant. Nous ne faisons plus des vacances de 15 jours ou plus, mais de courts séjours... où nous sommes de retour avant la carte postale que l'on a envoyée", explique-t-il.
Il y a aussi l'application Postcard Creator, éditée par La Poste depuis 2014, qui permet de créer en ligne et d'envoyer une carte postale "papier" sur la base de ses propres photos. Avec ses 7,5 millions de cartes postales envoyées en 2018 et plus d'un million et demi de téléchargements, elle a matière à rendre la carte postale désuète. Mais elle est plutôt utilisé par les clients suisses... Les acheteurs de cartes postales "classiques" sur le marché helvétique, eux, sont plutôt des touristes étrangers. Et les éditeurs comme Photoglob mettent les bouchées doubles pour continuer à les séduire.
Nous ne faisons plus des vacances de 15 jours ou plus, mais de courts séjours... où nous sommes de retour avant la carte postale que l'on a envoyée.
Renouveler les prises de vue
Gion Schneller précise que les résultats aux points de ventes indépendants restent très bons, et qu'ils ont "permis de sortir de nouvelles éditions qui marchent très bien". Chaque année, la société soleuroise édite 1000 nouveaux sujets pour ses cartes postales, sur un total de 12'000. Et pour certains lieux, la demande reste forte: dix nouvelles vues par saison pour Zermatt, cinq par saison d'été pour Zurich... Et Gruyères ou Genève ont aussi les faveurs des touristes.
Mais il a fallu se renouveler. "Nous avons toujours les classiques, avec cinq à sept vues, les 'salutations de'... mais nous proposons aussi des vues originales, que l'on ne pourrait pas faire soi-même: des photos prises au drone, à l'heure bleue, qui rattrapent un peu les pertes", précise Gion Schneller.
Et même si la carte touristique fait moins recette, les cartes "génériques", avec des aphorismes par exemple, "fonctionnent bien", souligne le directeur commercial de Photoglob SA. "On y gagne en chiffre d'affaires. C'est une carte beaucoup plus chère, mais avec un potentiel de vente plus grand que la carte de tourisme, qui répond à un marché localisé", explique Gion Schneller.
Jessica Vial
Un marché en évolution
De manière générale on trouve moins de cartes dans les magasins, en Suisse comme dans les pays voisins. Mais Gion Schneller, directeur commercial de Photoglob SA, estime que la Suisse est relativement chanceuse. "On dit que les prix sont hauts, mais il y a un service, un assortiment, des nouveautés...".
Et l'évolution du marché a forcé les imprimeurs à adapter leurs coûts. "Aujourd'hui, on n'est plus obligés de commander de grands stocks. On peut avoir, par exemple, 1000 pièces pour un sujet. Auparavant, il fallait commander 5000 pièces pour avoir un bon prix", dit-il.
Des adaptations qui répondent à tous les besoins du marché. "Les revendeurs n'ont pas de stock. Nous pouvons livrer seulement ce qui trouve place sur le tourniquet, soit environ 25 cartes de chaque sujet", explique le responsable de Photoglob.
Le plus grand éditeur de Suisse a racheté en 2016 le dernier éditeur romand de cartes postales: le groupe Perrochet, une maison d'édition fondée en 1906 à La Chaux-de-Fonds, qui elle-même avait repris en 2011 les éditions Fleury, basées à Villars-sur-Glâne. Photoglob alimente donc aujourd'hui 8000 points de vente, de kiosques en supérettes en passant par les papeteries, les hôtels ou les stations de ski.