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"La Suisse, un pays de tentation pour taper un fourgon blindé"

Braquages de fourgons blindés.
Braquages de fourgons blindés. / Mise au point / 12 min. / le 7 juillet 2019
Les braqueurs qui ont attaqué un fourgon blindé au Mont-sur-Lausanne (VD) ont su exploiter les failles importantes du transport d’argent en Suisse, un des plus vulnérables d’Europe, selon des braqueurs repentis. Mise au Point a mené l'enquête.

Le véhicule utilisé pour l'attaque du 20 juin illustre à lui seul la préparation et la détermination des braqueurs. Les criminels ont soudé une énorme barre d'acier en forme de flèche à l'arrière d'une camionnette. Ce véhicule bélier a permis de percer un fourgon semi-blindé de Loomis, une entreprise spécialisée dans le transport de fonds.

>> Lire : Un fourgon blindé attaqué et incendié au Mont-sur-Lausanne

Le butin s'élève à plusieurs dizaines de millions de francs suisses. Selon des sources policières, la camionnette bélier a été repérée par des caméras automatiques sur l'autoroute entre Genève et Lausanne peu avant le braquage. Cet indice renforce la piste du grand banditisme français derrière l'attaque du Mont-sur-Lausanne.

Menacés par des armes à feu, les occupants de la voiture ouvreuse de Loomis et du fourgon semi-blindé n'ont pas pu donner l'alerte à la police. Ce sont des voisins qui ont averti les secours. Selon Virginie Sottas qui vit à quelques mètres du lieu du braquage, l'attaque n'a duré qu'une poignée de minutes. Dans le quartier, les habitants sont sous le choc. C'est le second braquage avec arme à feu en moins d'une année sous leurs fenêtres au Mont-sur-Lausanne.

Explosion des braquages de fourgons

La liste des braquages de fourgons s'allonge d'année en année en Suisse. En 2015, un véhicule est attaqué à Bussigny. En 2017, un transporteur de fonds est intercepté sur l'autoroute à hauteur de Nyon.

En 2018, c'est à Chavornay qu'un conducteur de fourgon blindé est forcé d'ouvrir le coffre. En échange, les criminels libèrent la fille d'un des convoyeurs qu'ils avaient au préalable kidnappée. Selon des sources proches du dossier, des complicités internes à l'entreprise de transport de fonds ont aidé à la réalisation de ce braquage. En tout, six attaques de fourgon ont eu lieu en Suisse romande en un peu plus de trois ans.

Fourgons pas assez blindés

Le basculement de la criminalité française vers la Suisse peut expliquer ces chiffes. "En France, nous avons subi beaucoup d'attaques violentes dans les années 2000. Les autorités ont pris des mesures importantes, comme l'obligation d'être 3 employés dans les fourgons blindés et une meilleure formation. En Suisse, rien de tout cela", explique le délégué central CGT de Loomis France, Bengueche Kader.

L'entreprise Loomis n'a pas voulu répondre face caméra, mais le représentant de l'Association des entreprises suisses de services de sécurité, Luc Sergy, pointe une autre faiblesse: "La mesure la plus urgente est de changer la législation. Actuellement, il est interdit de circuler avec des fourgons de plus de 3,5 tonnes entre 22h et 5h du matin. Il faut renforcer le blindage et la sécurité". En attendant que la législation soit modifiée au niveau du Parlement, une demande d'autorisation spéciale a été déposée à l'Office fédéral des routes (OFROU).

Pourquoi la nuit

Toutes ces faiblesses sécuritaires sont malheureusement connues du grand banditisme. Mohamed Dja Daouadji a fait 10 ans de prison pour braquage. Pour ce criminel repenti: "La Suisse est un pays de tentation pour taper un fourgon blindé. En France, c'est devenu presque impossible d'attaquer des fourgons. Les équipes de braqueurs se sont redirigées vers la Suisse." Ce Français de 47 ans a raconté sa vie dans un livre intitulé "J'étais braqueur de banques". Cet ancien du grand banditisme souligne la plus grande vulnérabilité à ses yeux: "Le transport de fonds la nuit ne se fait plus en France. La nuit, c'est le terrain idéal pour les braqueurs. Pas de témoin, pas d'obstacle. C'est plus facile pour monter un coup".

La Suisse continue à le faire pour des raisons économiques, afin, entres autres, de remplir les bancomats avant le petit matin. Selon plusieurs acteurs de la branche, le marché du transport de fonds est extrêmement concurrentiel et la pression sur les prix a des conséquences sur la sécurité. Tous sont toutefois unanimes. Des mesures urgentes doivent être prises. La Suisse est vulnérable et les braqueurs le savent.

François Ruchti

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