"Où êtes-vous parti en vacances et avec quels moyens de transport? Où étiez-vous parti l'été dernier et avec quels moyens de transport? Le débat sur le climat a-t-il pesé sur votre choix?" Ces questions, nous les avons posées aux 246 élus du Parlement fédéral. Plus d'une centaine d'entre eux ont accepté de divulguer ces informations. L'image générale qu'ils donnent est plutôt exemplaire.
La Suisse, destination favorite des élus
Rester à la maison ou passer ses vacances en Suisse: c'est apparemment le choix privilégié des parlementaires. En cette année d'élections, plus de la moitié des séjours estivaux des élus (67 séjours) ont été réalisés au plus près de l'électorat, si l'on en croit notre sondage. Mais l'échéance du 20 octobre ne paraît pas déterminante. L'an dernier, ce chiffre était à peine inférieur (48%, 58 séjours).
Destinations de vacances estivales des élus fédéraux
Rien qu'en Suisse romande, neuf élus affirment ne pas être partis en vacances cet été. "Je suis resté chez moi pour profiter du calme et éviter les cohues", nous confie un conseiller national romand qui ne se représente pas. Même choix pour un parlementaire fribourgeois qui explique profiter de la pause estivale pour travailler plus tranquillement.
Les régions alpines ainsi que le sud des Alpes tiennent le haut du pavé chez ceux qui ont décidé de fuir leur domicile sans toutefois quitter le pays. Pour eux, les vacances riment souvent avec randonnées et balades à vélo. C'est notamment le cas du conseiller national Beat Vonlanthen (PDC/FR) qui indique s'être rendu quelques jours dans le Haut-Valais, dans le Lötschental.
Italie et France ont la cote
Beat Vonlanthen a également passé une semaine de vacances près de Gênes cet été. Et ce n'est pas le seul à avoir choisi la péninsule italienne pour se reposer. En effet, l'Italie (17 séjours) est la destination étrangère favorite des parlementaires, devant la France (16) et l'Allemagne (10). Les pays voisins concentrent d'ailleurs pas moins des trois quarts des séjours européens de nos élus.
En ce qui concerne les voyages hors des frontières européennes, ils sont extrêmement rares: 5 sur 132, soit moins de 4% des séjours comptabilisés (Canada, Corée du Nord, Etats-Unis, Laos et République dominicaine). Il faut cependant relativiser la faiblesse de ce chiffre car la méthodologie de l'enquête (cf. encadré ci-dessous), fondée sur la déclaration volontaire, n'encourage pas les politiciens à admettre des pratiques conspuées par les militants climatiques.
Voiture et transports publics au coude à coude
Le problème des trajets de longue distance est qu'ils impliquent quasi systématiquement de prendre l'avion. Or, ce moyen de transport est le plus critiqué en raison des fortes émissions de CO2 qu'il produit. Quatorze parlementaires l'ont emprunté cet été pour un peu plus de 12% des séjours. C'est sensiblement moins que l'an dernier (22 séjours, 19%). De nombreux élus reconnaissent d'ailleurs prendre l'avion moins souvent. C'est le cas de Roger Golay (MCG/GE) qui s'est rendu cet été en République dominicaine par voie aérienne, mais précise "ne plus faire de voyage de courte durée en avion depuis des années".
En matière de déplacement, c'est le train/bus et la voiture qui se taillent la part du lion. Ceux-ci sont utilisés comme moyens de transport principaux dans respectivement 43% et 41% des cas. Par rapport à l'été précédent, aucune révolution n'est constatée (42% et 36%). A noter toutefois que sept parlementaires ont affirmé avoir utilisé une voiture hybride ou entièrement électrique, contre deux seulement en 2018.
Moyens de transport utilisés par les élus fédéraux pour leurs vacances d'été
En tant que moyen de transport principal, le vélo reste quantité négligeable. En revanche, il est souvent présenté comme une activité essentielle des vacances. Nombre de parlementaires, tous partis confondus, expliquent ainsi embarquer leur bicyclette dans le train ou sur leur voiture ou faire du vélo chez eux, à l'instar de cet élu valaisan qui dit être resté à la maison et en avoir "profité pour faire chaque jour du vélo, comme presque chaque année."
Le climat, une préoccupation de longue date
Malgré l'importante médiatisation depuis le début de l'année, le débat récent sur le climat ne semble pas avoir bouleversé les habitudes et rares sont les élus à avouer un changement de pratiques. C'est néanmoins le cas pour Bea Heim (PS/SO) qui, "influencée" par les élections fédérales et le débat sur le climat, a opté pour des vacances dans les Alpes suisses en transports publics. Son de cloche similaire chez le PLR tessinois Rocco Cattaneo: "Les élections et la question environnementale m'ont probablement encouragé à faire davantage de vélo."
La plupart des convaincus affirment l'être depuis longtemps. "Je n'ai pas attendu cette année pour me préoccuper de la problématique climatique. J'essaie depuis de nombreuses années d'avoir un comportement respectueux de la planète tant au niveau des voyages que de la consommation", note ainsi Denis de la Reussille. Le popiste neuchâtelois, qui ne possède pas le permis de conduire, s'est rendu cet été dans les Alpes valaisannes en train et en car postal.
"Je n'ai pas pris l'avion depuis 12 ans pour des raisons écologiques et n'ai donc pas découvert l'enjeu climatique cette année avec Greta Thunberg", l'adolescente suédoise devenue égérie de la mobilisation contre le réchauffement climatique, relève pour sa part Adèle Thorens (Verts/VD). "La dernière fois que je suis parti en vacances en avion, c'était il y a environ 30 ans", surenchérit l'UDC saint-gallois Roland Rino Büchel, qui assure rester en Suisse durant l'été et s'y déplacer en train.
Des résistances et des solutions
Nombreux sont ceux qui, en revanche, n'entendent pas se laisser dicter leur comportement. Parmi eux, Manfred Bühler (UDC/BE), qui explique s'être offert cet été un voyage aux Etats-Unis pour ses 40 ans. "Je ne me laisse pas intimider par ce climat qui s'instaure actuellement où on essaie de montrer du doigt ces gens qui prennent l'avion. (...) "Je crois qu'il faut laisser la liberté à chacun de prendre ses décisions en fonction de ses besoins, de ses envies et de son éthique personnelle", lance le Jurassien bernois.
"Ce sentiment de culpabilisation a aussi pu m'animer au début, confesse Carlo Sommaruga. Mais je me suis rendu compte qu'il fallait quitter cette dynamique de culpabilisation pour essayer de trouver une dynamique constructive." Le socialiste genevois passe en effet chaque année des vacances en famille sur une îles des Cyclades, en Grèce. Pour pouvoir continuer à s'y rendre tout en restant "cohérent" avec ses engagements politiques, il a décidé de réduire sa consommation de viande et de compenser le CO2 du voyage en avion via des plateformes de financement de projets environnementaux comme www.myclimate.org.
Plusieurs élus plaident pour leur part en faveur d'un renforcement du réseau ferroviaire international face à l'expansion du trafic aérien, notamment un retour des trains de nuit. Le PDC Beat Vonlanthen prône quant à lui une approche modérée pour réconcilier les différentes sensibilités et avancer sur les problématiques d'environnement et de transport. "Les questions climatiques sont un enjeu crucial, explique-t-il. La politique est appelée à développer des incitations pour favoriser la durabilité, sans toutefois gâcher le plaisir des vacances."
Mathieu Henderson et Didier Kottelat
La méthodologie et les limites du sondage
Ce sondage, non représentatif, a été mené par courrier électronique auprès des 246 parlementaires fédéraux entre le 6 et le 14 août 2019. Nous avons garanti l'anonymat aux élus, à moins que ceux-ci nous autorisent explicitement à dévoiler leurs réponses.
Plus de la moitié des parlementaires - 124 pour être précis - ont pris la peine de nous répondre. Seize d'entre eux ont déclaré ne pas vouloir participer, invoquant pour la plupart la défense de la vie privée. Au final, 108 réponses ont donc été prises en compte.
Cette méthodologie, fondée sur le principe de la déclaration volontaire, comporte des limites évidentes. Il est ainsi possible voire probable que le taux de réponses des "bons élèves climatiques" soit plus important que celui des élus ayant choisi des destinations lointaines ou des déplacements par avion.
Les vacances, une affaire privée
Nous en étions conscients: s'intéresser aux vacances des élus, même en garantissant l'anonymat des réponses, c'est flirter avec la limite entre la vie publique et la vie privée. C'est même dépasser allégrement cette limite, relèvent de nombreux parlementaires fédéraux.
"Les vacances, c'est l'un des derniers espaces qui peut rester privé dans la vie des personnalités publiques. Pour ce qui me concerne, j'entends faire en sorte que cet espace demeure privé", affirme ainsi l'un des 16 élus qui ont refusé de participer tout en prenant néanmoins la peine de nous répondre.
"Je n'ai jamais, depuis que je fais de la politique activement, évoqué ma vie privée dans le cadre de ma vie politique. Aussi, je ne compte pas faire exception à la faveur de votre questionnaire", argumente un autre parlementaire.