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Yvonne Gendre: "Une procureure a le sentiment très fort de l'injustice"

Yvonne Gendre, procureure au Ministère public fribourgeois, invitée de La Matinale RTS.
L'invitée de La Matinale (vidéo) - Yvonne Gendre, procureure au Ministère public fribourgeois / La Matinale / 10 min. / le 20 août 2019
Procureure au Ministère public fribourgeois, Yvonne Gendre prendra sa retraite à la fin de l'année. Elle revient sur son métier et l'évolution de sa pratique professionnelle dans La Matinale RTS mardi.

Celle qui a interrogé 300 à 400 mineur(e)s victimes de violences sexuelles, dit ne pas ressentir de colère -"la colère, c'est le sentiment des victimes" - lorsqu'elle rentre chez elle après une journée particulièrement éprouvante. Pour Yvonne Gendre, "une procureure a le sentiment très fort de l'injustice. Et l'injustice, c'est ce qu'il faut combattre, qu'il faut faire reconnaître, qu'il faut faire cesser, qu'il faut condamner. Il faut pouvoir dire à la victime, au nom de la société, au nom de la justice: oui, vous avez été humiliée, battue, violée, oui, l'auteur doit être condamné".

Progrès

Le métier évolue, souligne Yvonne Gendre, "dans le sens où on sait maintenant, et on accepte de le reconnaître, que le viol ou la violence sexuelle ne sont pas forcément imposés par la force physique, (...) c'est souvent la violence psychologique qui est utilisée comme moyen de pression". La paralysie, la sidération ne sont plus considérées comme une forme de consentement, les définitions du viol traditionnelles ne sont plus actuelles.

La parole des victimes est également mieux comprise. La procureure mentionne la mise au point de protocoles, de manières d'interroger les enfants, d'apprécier les déclarations d'enfants ou d'adultes. "Il y a des critères scientifiques de réalité" précise-t-elle. "On sait qu'une déclaration détaillée, constante, cohérente a beaucoup de force et qu'elle est une preuve suffisante."

Il faut aussi que la victime puisse pleinement s'exprimer. "Un enfant ne doit jamais être confronté à l'auteur. Mais faire condamner un innocent serait injuste, donc la personne prévenue, l'accusé doit pouvoir également s'exprimer complètement " insiste Yvonne Gendre.  

"Silences externes"

Le mouvement #MeToo a mis en lumière les "silences externes", explique la magistrate, parlant des stratégies de certaines institutions (famille, église, monde du spectacle) pour faire taire les victimes.

"Il faut casser et déconstruire ces pressions et un des grands acquis de #MeToo c'est cette déconstruction", pour la magistrate qui ajoute: "un autre acquis, c'est de faire apparaître que le consentement est difficile à mesurer".

Exerçant à Fribourg, Yvonne Gendre a été notamment confronté aux affaires de pédophilie qui ont secoué l'Eglise catholique au début des années 2000. Elle se souvient s'être battue contre "le silence assourdissant et inadmissible" dans lequel l'Eglise s'était enfermée. Parce qu'avec ses commissions d'enquête, "on avait l'impression que l'Eglise voulait garder ce qui se passait pour elle".

Xavier Alonso/pym

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Indispensable PV

Interrogée sur les affaires para-footballistiques qui concernent le procureur général de la Confédération Michael Lauber et ses rencontres avec le président de la FIFA Gianni Infantino, Yvonne Gendre ne botte pas en touche. Même si, en riant, elle s'estime "un peu mal à l'aise" pour en parler.

Selon elle, une rencontre directe et discrète dans un hôtel "n'est pas du tout une manière de procéder. On peut imaginer une rencontre informelle mais elle doit faire l'objet d'un procès-verbal. C'est une attitude peu compréhensible. Un magistrat doit utiliser le droit", conclut-elle.