La découverte lundi en Italie du corps d’un randonneur français neuf jours après son appel aux services de secours a créé un début de polémique, relayée par le site France Info. En cause: le fait que les secours italiens ne disposent pas de l'AML (pour "localisation mobile avancée"), une technologie qui permet de géolocaliser avec précision les appels d'urgence passés depuis un smartphone.
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Concrètement, lorsqu'un numéro d'urgence est composé depuis un smartphone, l'AML utilise le GPS intégré dans l'appareil pour envoyer automatiquement un SMS aux services de secours indiquant les données de localisation exactes de l'appelant.
Inventé il y a cinq ans, le système équipe aujourd'hui la plupart des iPhones et des appareils dotés du système d'exploitation Android. Mais seuls une vingtaine de gouvernements l'ont adopté à ce jour, selon l'Association du numéro d'urgence européen (EENA), basée à Bruxelles, derrière le projet AML.
En Europe, une douzaine de pays l'ont introduit, dont l'Autriche, la Belgique, le Royaume-Uni et la plupart des pays scandinaves. La Suisse, elle, figure avec l'Italie et la France parmi les pays ne disposant pas de cette technologie.
Les services de secours réclament l'AML
Actuellement, en Suisse, lorsqu'ils reçoivent un appel d'urgence passé depuis un téléphone portable, les services de secours n'obtiennent qu'une géolocalisation plus ou moins approximative fournie par les antennes relais. Selon la région, sa densité d'antennes et l'opérateur téléphonique, la précision peut varier de quelques dizaines de mètres à plusieurs kilomètres.
Selon les chiffres fournis par l'EENA, la précision moyenne de cette géolocalisation par "triangulation" est d'environ 2 kilomètres. Alors qu'en Autriche, toujours d'après l'association, plus de 92% des messages AML envoyés fournissent une position à 100 mètres près, et 85% sont même précis à 50 mètres.
Vincent Fuchs, directeur qualité à la Fondation Urgences Santé à Lausanne -qui gère les appels au 144 pour Vaud et Neuchâtel- appelle de ses voeux l'instauration de l'AML en Suisse. Selon lui, c'est "l'outil le plus efficace pour retrouver des personnes perdues" car il permet de restreindre considérablement la zone de recherches.
Mise en place possible en Suisse
La mise en place de l'AML dans un pays requiert quelques ajustements législatifs et techniques, mais le fédéralisme n'est en tout cas pas un obstacle et cela serait tout à fait possible en Suisse, a souligné à la RTS Benoît Vivier, responsable des affaires publiques pour l'Association du numéro d'urgence européen.
"Ce qui est vraiment nécessaire, c'est la mise en place d'une plateforme de réception des informations d'AML au niveau national, et ensuite que tous les centres de réception des appels d'urgence dans les différents cantons puissent se connecter à cette plateforme nationale pour obtenir les informations de localisation", a expliqué Benoît Vivier. Mais "tout cela peut être fait en quelques semaines".
Benoît Vivier milite pour le développement de ce système et juge qu'il serait particulièrement adapté en Suisse, "un pays dont la géographie particulière fait que beaucoup d'appels d'urgence sont passés par des personnes qui ne savent pas précisément où elles sont".
Le dossier est entre les mains de l'OFCOM
Des discussions entre l'EENA, l'Office fédéral de la communication (OFCOM) et les opérateurs téléphoniques suisses ont été entamées au printemps 2018 mais n'ont donné lieu à ce jour à aucune avancée concrète.
Contacté par la RTS, l'OFCOM explique que la création de la base juridique qui permettrait la mise en œuvre de l'AML sera examinée dans le cadre des travaux pour réviser l'Ordonnance sur les services de télécommunication (OST). Echéance estimée pour l'entrée en vigueur de l'OST révisée: second semestre 2020.
La mise en place de l'AML pourrait donc intervenir au plus tôt en 2021. S'il se félicite de l'"intérêt clair et manifeste de l'OFCOM", le représentant de l'EENA déplore la lenteur du processus et regrette, par ailleurs, que les opérateurs téléphoniques manquent parfois de "bonne volonté".
Leur collaboration est précieuse -quoique pas indispensable- pour accompagner le processus de test et faire en sorte que la transmission du SMS soit gratuite. "C'est un surcroît de travail qui n'entraîne aucun avantage commercial, ce qui peut expliquer le blocage de certains", avance Benoît Vivier.
Reste que, selon une étude relayée par l'EENA, si tous les pays européens utilisaient l’AML, 7500 vies pourraient être sauvées en 10 ans et près de 95 milliards d’euros économisés en frais d’intervention et de recherche. L'Union européenne a d’ailleurs voté une loi qui impose aux Etats membres de mettre en place ce système au plus tard en décembre 2020.
Pauline Turuban
(sujet radio: Gaël Klein)
Les applications constituent une alternative, mais ont des limites
Des applications d'urgence comme retteMi ou ECHO 112 peuvent constituer une alternative à l'AML puisqu'elles autorisent de facto une centrale à obtenir la localisation précise de l'appelant.
Ces applications présentent toutefois plusieurs inconvénients, selon Vincent Fuchs de la Fondation Urgences Santé à Lausanne. Il faut bien sûr avoir préalablement téléchargé l'application sur son smartphone.
La personne doit appeler le numéro d'urgence depuis l'application, mais il faut aussi qu'elle explique à l'opérateur de la centrale qu'elle appelle avec cette application, explique Vincent Fuchs. Enfin, il faut que l'interlocuteur de la centrale d'urgence aille rechercher l'information de localisation sur internet.
"Tout cela nécessite un certain nombre d'actions de l'appelant et de l'opérateur, qui peuvent coûter de précieuses minutes", résume le professionnel.