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Minarets: interdiction discriminatoire pour l'ONU

«Il n'y a pas eu d'explication valable» à l'arrestation des Suisses, estime Navi Pillay.
Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l'homme, condamne une décision "tout-à-fait malheureuse".
L'interdiction des minarets décidée dimanche par le peuple suisse est "clairement discriminatoire", a affirmé mardi la Haut-Commissaire aux droits de l'homme Navi Pillay. La Cour européenne des droits de l'homme doute pour sa part que l'interdiction finisse devant les juges des Strasbourg.

Dans un communiqué d'une page, la Haut-Commissaire affirme que
l'interdiction des minarets est "discriminatoire, divise
profondément et est une décision tout-à-fait malheureuse pour la
Suisse".



"J'hésite à condamner un vote démocratique", ajoute Navi Pillay,
"mais je n'ai aucune hésitation à condamner des campagnes
politiques alarmistes anti-étrangers qui ont lieu dans certains
pays, y compris la Suisse, et qui contribuent à produire de tels
résultats".



Lundi, un porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de
l'homme avait précisé: "Des experts sont en train d'examiner la
question sur le plan légal".



Lors de la campagne, des experts de l'ONU avaient mis en garde les
autorités fédérales à plusieurs reprises en raison du caractère
discriminatoire de l'initiative.

Droits de l'homme oubliés

La Haut-Commissaire note que le gouvernement suisse n'a pas
soutenu l'initiative, mais souligne que l'interdiction d'une
construction associée à une religion est clairement
discriminatoire.



«Des politiciens qui ont proposé ce texte ont affirmé qu'il ne
visait pas l'Islam ou les musulmans», poursuit Navi Pillay.
"D'autres ont affirmé que l'interdiction des minarets pourrait
améliorer l'intégration. Ce sont des affirmations étranges quand le
symbole d'une religion est visé", ajoute la Haut-Commissaire de
l'ONU.



Elle se déclare "triste" que de tels arguments aient eu un écho
suffisant auprès d'une large proportion de citoyens suisses de
manière à leur faire oublier leur soutien de longue date aux droits
de l'homme. "Des politiques basées sur la xénophobie et
l'intolérance sont extrêmement troublantes, où qu'elles se
produisent", souligne l'ex-juge sud-africaine et juge au tribunal
international sur le génocide au Rwanda.

Contraire au Pacte de l'ONU

"Je demande à tout le monde dans tous les pays de considérer
cette question de la discrimination de manière extrêmement
sérieuse. Si on leur permet de se développer, la discrimination et
l'intolérance non seulement nuisent considérablement aux membres du
groupe visé, mais aussi divisent la société dans son ensemble",
affirme encore la Haut-Commissaire.



Elle rappelle que la conférence de l'ONU sur le racisme, organisée
à Genève en avril dernier, a mis en évidence l'augmentation des
incidents d'intolérance raciale et religieuse, dont l'islamophobie
et l'anti-arabisme, et a relevé de manière plus spécifique la
stigmatisation des personnes basées sur leur religion et leurs
croyances.



La Haut Commissaire rappelle aussi que, le 3 novembre, le comité
des droits de l'homme de l'ONU a exprimé sa préoccupation à propos
du vote organisé le 29 novembre en Suisse et "la campagne de
publicité inflammatoire en faveur du oui".



Le comité des droits de l'homme, composé de 18 experts
indépendants, a clairement indiqué que l'initiative, si elle était
adoptée, mettrait la Suisse en contradiction avec les articles 2,
18 et 20 du Pacte de l'ONU sur les droits civils et politiques,
conclut Navi Pillay.

PEU DE CHANCE DE SAISIR LA COUR EUROPEENNE

Le président de la Cour européenne
des droits de l'homme, Jean-Paul Costa, doute que l'interdiction
des minarets finisse devant les juges des Strasbourg. Selon lui, le
problème est "compliqué au niveau juridique".



Avant de pouvoir saisir la Cour, les plaignants doivent avoir
épuisé toutes les voies de recours dans leur pays - mais cela n'est
pas possible en Suisse. Or "il n'est pas possible de saisir le
Tribunal fédéral contre le résultat d'un vote populaire", a
expliqué Jean-Paul Costa devant des journalistes à Bruxelles.



Se pose également la question de savoir qui a le droit de faire
recours contre le résultat de cette votation. "Un cas ne peut être
porté devant la Cour que par quelqu'un qui est la victime directe
de la décision", explique-t-il. Cela ne concerne qu'une catégorie
particulière de personnes, comme "une association suisse de
musulmans qui se serait vu nier le droit de construire un édifice
religieux", ajoute-t-il.



La Communauté islamique de Langenthal (BE) a annoncé dès dimanche
soir qu'elle était prête à aller jusqu'à Strasbourg pour défendre
son droit au libre exercice de la religion si les autorités
s'appuient sur l'initiative pour refuser leur demande de
construction d'un minaret. Les Verts envisagent également de
recourir à Strasbourg mais contre l'initiative elle-même, qu'ils
jugent "anticonstitutionnelle et discriminatoire".



ats/sbo

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Toujours des réactions à l'étranger

Les réactions négatives continuent d'affluer après la décision d'interdire la construction de minarets.

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan estime que ce vote est "le reflet de la montée d'une vague de racisme et de l'extrême droite en Europe". Soulignant que "l'islamophobie est un crime contre l'humanité", il a appelé le Conseil fédéral à réparer cette "erreur".

Le chef de l'Etat turc Abdullah Gül a pour sa part parlé de décision "honteuse" pour les Suisses.

Un souhait lancé aussi par le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, qui a lui dénoncé une violation des droits des musulmans de Suisse, et le ministre pakistanais des affaires étrangères, Shah Mahmood Qureshi.

Le chef de la diplomatie italienne Franco Frattini a lui estimé qu'il "pouvait être dangereux d'interdire une religion".

L'Iran a dénoncé mardi un vote "discriminatoire". Le résultat des votations fédérales de dimanche contredit le principe de liberté religieuse prôné par l'Occident, a déclaré le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Ramin Mehmanparast.

En Jordanie, le Front de l'action islamique (FAI), branche politique des Frères musulmans et principal parti d'opposition du pays, voit dans ce vote une "insulte aux musulmans et une violation des droits de l'Homme".

"Il s'agit d'une incitation à la haine, au racisme et à la discrimination religieuse" et une "forme d'encouragement à nuire aux musulmans en Suisse et ailleurs dans le monde", a-t-il estimé sur son site internet.