Le deuxième procès contre les Suisses retenus en Libye depuis
juillet 2008 doit avoir lieu le 15 décembre, a précisé un
collaborateur du ministère libyen des affaires étrangères, qui
souhaite garder l'anonymat.
Après la condamnation de mardi
Max Göldi, 54 ans, responsable du marché libyen pour le groupe
ABB, et Rachid Hamdani, 69 ans et travaillant en Libye pour une
entreprise suisse de construction, sont accusés d'avoir eu une
activité économique en Libye sans autorisation.
Mardi, on apprenait qu'ils avaient été condamnés en début de
semaine pour violation des prescriptions en matière de visas et de
droit du travail à 16 mois de prison ainsi qu'à une amende de 1500 dollars
chacun. Ils peuvent faire recours dans un délai d'une
semaine.
Le Département fédéral des affaires (DFAE) a confirmé mardi soir
la condamnation, rendue lundi en l'absence des accusés, pour
violation de prescriptions en matière de visas. Les deux Suisses se
trouvent toujours à l'ambassade. Cette condamnation est tombée au
lendemain de la surprenante interdiction des minarets en
Suisse.
Hans-Rudolf Merz surpris par la peine
Le président de la Confédération
Hans-Rudolf Merz s'est dit surpris par la peine prononcée. Une
condamnation à 16 mois de prison alors que les intéressés ont déjà
été retenus pendant 16 mois en Libye est regrettable pour eux et
leur famille, a déclaré mercredi devant les médias Hans-Rudolf
Merz.
Le conseiller fédéral place toutefois des espoirs dans ce
jugement, qui place désormais l'affaire sur le terrain du droit.
N'ayant pas encore pu étudier le jugement, il ne sait pas encore
s'il faut conseiller aux deux hommes d'affaires suisses de faire
recours.
Le jugement rendu en Libye se moque de l'Etat de droit, a déclaré
mercredi Mario Fehr (PS/ZH), membre de la Commission de politique
extérieure du Conseil national. Celui-ci estime que la politique ne
peut rien faire pour l'instant et que la diplomatie doit oeuvrer
dans la discrétion.
Son collègue Christoph Mörgeli (UDC/ZH) dénonce un "simulacre de
procès". Selon le Zurichois, il faut encore accroître la pression
et envisager de rompre les relations diplomatiques avec la Libye.
Membre de la Commission de politique extérieure du Conseil des
Etats, Eugen David (PDC/SG) préconise que les deux Suisses ne
quittent pas l'ambassade.
Jean Ziegler s'attend à une forte rançon
Connaisseur de la Libye, le
sociologue genevois Jean Ziegler a déclaré à la radio alémanique
DRS qu'il faut s'attendre à ce que le régime du colonel Kadhafi
demande une forte rançon pour libérer les deux Suisses.
Il faudra beaucoup d'argent pour que les deux Suisses puissent
enfin recouvrer la liberté. Ils sont détenus complètement
arbitrairement et peuvent donc être considérés comme des otages,
selon Jean Ziegler, ex-conseiller national socialiste et ancien
rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation.
Directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe à
Genève, Hasni Abidi estime que le moment choisi pour condamner les
deux Suisses ne relève pas du hasard. La Libye a choisi sciemment
le lendemain de la votation sur les minarets, a-t-il expliqué mardi
soir à la Télévision alémanique.
Nombreuses inconnues
Mais de nombreuses inconnues subsistent. Le jugement a été rendu
par oral et les motivations écrites devraient suivre, mais aucun
délai n'était articulé mercredi matin. Difficile donc, pour les
organisations de défense des droits humains, de se prononcer en
l'absence du jugement écrit et de l'acte d'accusation.
"Si ce sont vraiment des problèmes de visas qui sont reprochés aux
deux hommes, la peine est disproportionnée", indique la
porte-parole d'Amnesty International Manon Schick. Une peine de
prison ferme ne devrait pas sanctionner un délit administratif,
estime l'organisation. Et ce, partout dans le monde: "une telle
sanction par rapport à un délit de type séjour illégal est
disproportionnée, y compris en Suisse", explique Manon Schick. Du
côté des familles, c'est l'incertitude qui règne. "Je suis dans
l'expectative", a confié Bruna Hamdani, épouse de l'un des deux
otages.
agences/hof
L'avocat des infirmières bulgares prévient
Les otages ne seront libérés que si la Suisse parvient à inverser le rapport de force avec la Libye. Cette mise en garde émane de l'ancien avocat français des infirmières bulgares Emmanuel Altit. Pour lui, la Suisse doit maintenant faire recours et engager des avocats.
"Je sais que pour l'instant aucun avocat international n'a été engagé. Ce n'est pas sérieux", estime Emmanuel Altit mercredi dans un entretien au Matin. Pour l'avocat français, la Suisse doit "apprendre les règles du jeu libyen". Sans cela, la Confédération va continuer à perdre face à Tripoli, juge-t-il.
Les deux otages ne seront libérés que "le jour où les Libyens auront plus d'inconvénients que d'avantages à les garder". Dans cette partie d'échecs, refuser des visas ou boycotter la délégation libyenne au Forum de Davos ne suffit pas: "Ce n'est pas sérieux, les Libyens se fichent de Davos".
Selon le Français, les Libyens "ne veulent pas faire appliquer cette peine. Pour eux c'est seulement un jeu, une menace qu'ils font peser". Tripoli n'a d'ailleurs aucun moyen de faire sortir les deux hommes d'affaire de l'ambassade de Suisse pour les mettre en prison. La mission helvétique "est un territoire souverain", rappelle-t-il. Quant à les faire sortir par la force, cela ne fait pas partie du jeu libyen, d'après lui.
La condamnation des deux Suisses à 16 mois de prison, alors qu'ils sont retenus en Libye depuis 16 mois, fait partie du même jeu, selon Emmanuel Altit. "C'est le genre de clin d'oeil que les Libyens adorent. La Cour suprême avait condamné à mort les infirmières bulgares un 25 décembre, le jour de Noël", rappelle-t-il. Condamnées à mort par deux fois, elles avaient été détenues par Tripoli durant huit ans.
Quant aux deux Suisses, même s'ils devaient faire connaissance avec les geôles libyennes, "il n'y a aucune raison pour qu'ils soient maltraités. Ce sont des otages: ils ont donc une certaine valeur", rappelle Emmanuel Altit. Lundi, les deux Suisses retenus à Tripoli ont été condamnés à 16 mois de prison ferme et à une amende de 2000 dinars libyens chacun, soit environ 1600 francs.