Parallèlement au dépôt de la plainte, une lettre a été envoyée
au Conseil fédéral et à tous les membres du Conseil de l'Europe,
indiquent encore les avocats.
La requête demande à la Cour de constater l'incompatibilité de
la mesure votée par le peuple suisse avec la Convention européenne
des droits de l'homme, selon Pierre de Preux, l'un des cinq avocats
du recourant (lire ci-contre). Sont concernés
l'article 9 de cette convention, qui garantit notamment la liberté
de religion, l'article 14, qui interdit la discrimination, ainsi
que l'article 13, qui oblige la Suisse à disposer d'une voie de
droit interne permettant de corriger les effets des violations de
l'article 9 et de l'article 14.
Liberté religieuse et discrimination
Dans son recours, Hafid Ouardiri estime qu'avec l'interdiction
générale et absolue de construire des minarets, la Suisse érige en
principe une mesure qui restreint la liberté de religion des
musulmans. Or, selon la Convention, une mesure restrictive devrait
demeurer une exception et n'être prise que de cas en cas lorsque
l'ordre, la sécurité ou les droits d'autrui sont en péril. Et ce,
quelle que soit la religion concernée.
L'ancien porte-parole de la mosquée de Genève juge également que
l'interdiction de construire des minarets est discriminatoire car
elle ne vise qu'une seule religion et non toutes les religions.
Droit supérieur
Hafid Ouardiri et les représentants du recourant notent aussi
que la Suisse a accepté, en adhérant à la Convention européenne des
droits de l'homme, que certaines valeurs fondamentales soient
placées sous le contrôle d'une autorité supérieure, à savoir la
Cour européenne des droits de l'homme. Et selon eux, ces valeurs ne
peuvent pas être remises en cause, même par le peuple, qui est
souverain.
Si la Cour européenne des droits de l'homme donne raison à Hafid
Ouardiri, l'interdiction de construire des minarets ne pourra pas
être appliquée en Suisse, selon les avocats. Dans le cas contraire,
la norme entrera en vigueur.
Le professeur de droit pénal suisse Stefan Trechsel pense que les
chances de succès de ce recours sont maigres. L'ex-président de la
Commission européenne des droits de l'homme a ajouté mardi soir à
la TV alémanique que les personnes à l'origine de ce texte ne sont
pas directement touchées par une interdiction de construire des
minarets.
Conseil fédéral attentiste
Le Conseil fédéral attend pour sa part un éventuel verdict de
Strasbourg pour évaluer concrètement la situation. Il n'est pas
question de dénoncer la Convention européenne des droits de
l'homme, a déclaré la ministre de la justice Eveline
Widmer-Schlumpf lors de l'heure des questions de la dernière
session du Conseil national.
Si un recours aboutit devant elle, la Cour européenne concluera
très vraisemblablement que l'interdiction des minarets constitue
une violation de la liberté de religion inscrite dans la
convention. Et de préciser que le gouvernement attendait un verdict
concret condamnant la Suisse pour décider comment réagir.
Mais il n'y a "aucune raison" de dénoncer la Convention européenne
des droits de l'homme. Il n'est pas possible non plus d'apporter
une réserve à son application, une telle démarche n'étant possible
qu'au moment de la signature ou de la ratification du document, a
précisé la conseillère fédérale.
tsr/Julie Mégevand
Hafid Ouardiri appuyé par cinq avocats
Hafid Ouardiri est l'ancien porte-parole de la mosquée du Petit-Saconnex (GE). De nationalité française, ce musulman pratiquant est installé en Suisse depuis trente ans.
Homme de référence dans les contacts intercommunautaires, il est actuellement directeur de la Fondation de l'Entre-Connaissance.
Pour ce recours, Hafid Ouardiri est représenté par cinq avocats actifs dans le domaine des droits de l'homme.
Il s'agit du Bâtonnier Pierre de Preux, avocat au barreau de Genève, du Bâtonnier Georges-Albert Dal, avocat au barreau de Bruxelles, du Bâtonnier Bertrand Favreau, avocat au barreau de Bordeaux, du Bâtonnier Pascal Maurer, avocat au barreau de Genève, et de Me Christophe Pettiti, avocat au barreau de Paris.
Les recours auprès de la Cour européenne
La Convention européenne des droits de l'homme est un traité international ouvert aux Etats membres du Conseil de l'Europe, dont la Suisse fait partie.
Un recourant peut déposer une requête devant la Cour s'il s'estime personnellement et directement victime d'une violation des droits et garanties prévus par la Convention européenne des droits de l'homme ou ses protocoles.
La violation doit avoir été commise par l'un des Etats liés par la Convention.